femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Actualités du site et du forum
La rénovation du forum est pratiquement terminée, on attends vos réactions et critiques.
La rénovation du site elle, sera plus longue, pour le moment il est remis en route, de nouveaux articles sont et seront mis en ligne, la renovation graphique aura lieu courant 2016 pour un déploiement au plus tard en octobre 2016.
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » jeu. 27 juin 2013 19:05:15
- Chapitre XI -
DANS LA RUCHE DE LA RELIGION,DES ALVÉOLES POUR LES FEMMES.
De deux filles que vous avez, faites-en une religieuse, vous logerez mieux l'autre, recommande une certaine bourgeoise du XVI' siècle. C'est un conseil plein de bon sens : avec une dot améliorée, celle qui reste sera mieux mariable... Ici, du côté de Naucelle, au temps du Roi-Soleil, on peut même découvrir un cas où cette sorte de logique a été poussée au paroxysme.
A Pauletou-lès-Naucelle, jadis, il y eut un château, seulement aboli au XIX' siècle. En 1649, Alexandre de Faramond, sieur de la Calmette, l'acquiert de son frère René, baron de Jouqueviel. Alexandre de Faramond a-t-il besoin d'un vaste nid pour abriter sa couvée ? Cela se peut, car les enfants ne manquent pas. Cinq ans auparavant en effet, en janvier 1644, il a épousé Charlotte d'Imbert du Bosc. Or celle-ci, jeune veuve, a déjà eu deux filles de son premier mari, le sieur de Bar. Et avec ce second époux, elle va donner naissance à seize rejetons. Cinq meurent jeunes, mais onze atteignent l'âge adulte : trois garçons et huit filles. Mettons-nous un instant à la place de Charlotte et d'Alexandre : même lorsqu'on est noble et que l'on a quelque fortune, comment diantre doter convenablement cette ribambelle de damoiselles, les deux du premier lit et les huit du second ? Où trouver le nécessaire ? Le couvent, heureusement, fournit une solution : sur ces dix filles, neuf vont devenir religieuses. Une seule est à un époux, et décède d'ailleurs quelques mois après son mariage.
Pour faire bonne mesure, sur les trois garçons de la couvée, à Paulétou, deux vont devenir prêtres. La stratégie des parents paraît limpide et elle est d'ailleurs classique en ce temps-là : le patrimoine de la maison doit être préservé pour être transmis , aussi peu écorné que possible, à une seule main de la génération suivante. C'est de la sorte que les familles gardent leur rang.
Et à cette fin, tout ici a été fait pour privilégier l'aîné des garçons, Jean Philibert de Faramond.
Dans le siècle où nous sommes, les religieuses ont quasiment toujours choisi leur voie par vocation. Bien sûr, il arrive que l'on dise, à demi-mot, qu'une telle a pris la direction du couvent après une déception amoureuse, ou à la suite d'un conflit avec ses parents... mais il s'agit souvent d'explications romancées. Qu'en était-il au temps des rois ? Etait-ce la fille ou les parents qui décidaient ?
Au XVIII' siècle, l'ouvrage que fait paraître Diderot, La Religieuse, a beaucoup contribué à développer l'apitoiement envers les filles enfermées contre leur gré dans des couvents. Et pour un lecteur imprégné des valeurs d'à présent ce livre reste émouvant, dans sa première partie tout au moins, la seconde étant d'un sulfureux devenu plus commun. Concrètement, quelle fut la part de l'appel de Dieu chez celles qui jadis entraient en religion ? La réalité fut sans doute complexe, variée, avec un mélange de vocations réelles, de vocations par dépit et de vocations "imposées". Deux exemples, pris chez les puissants Arpajon, peuvent illustrer cette diversité.
REPÈRES
LA RELIGIEUSE DE LA BÉNISSONS-DIEU
ou "DIDEROT EN ROUERGUE"
... Un pensionnat très distingué s'ouvrit à la Bénissons-Dieu (à la Falque, près de Saint-Geniez).
M de La Personne, parvenu à l'âge mûr, établit sa résidence à Saint-Martin (de Lenne). Il avait reçu une propriété qu'il désirait laisser entière à son fils aîné; pour n'avoir pas à la partager, il voulait que sa fille se fit religieuse au couvent de la Falque où elle avait été élevée.
Le 29 juin 1665 était le jour fixé pour sa profession (de foi). Le religieux délégué pour la cérémonie ayant prononcé un discours sur la vie religieuse, la jeune fille prit la parole pour déclarer publiquement qu'elle n'avait aucune vocation et qu'elle n'avait accepté le vêtement de l'ordre que pour contenter ses parents.
Alors, le prédicateur lui rappelle les dangers du monde et les avantages de la vie religieuse : "vous me prêchez en vain, répliqua la novice ; depuis que je suis à la Bénissons-Dieu, je n'ai eu aucune vocation religieuse".
On dresse procès-verbal de ce dialogue inattendu, et le père cistercien fait ouvrir les portes pour en laisser sortir Catherine de La Personne...
Chanoine TOUZERY
Le premier se place vers 1571, au temps des Guerres de Religion :...l'ancien prieur de Millau, Louis de Montcalm, épousait Anne d'Arpajon, naguère abbesse de l'Arpajonie... Commentant ce cas et un autre semblable, F. Delteil ajoute : "...ce refus d'une vocation dispensée par la naissance, les traditions et les intérêts de la famille n'est-elle pas une protestation de la jeunesse contre obligations et servitudes qui n'ont de prix que si elles sont consenties et volontaires... Dans le refus de cette jeune abbesse en rupture de ban, au risque de passer pour infâme, il y a l'affirmation d'un caractère et cela chez une femme..."
Au siècle suivant, dans la même grande famille, on va trouver une seconde affirmation d'un caractère, mais pour une attitude inverse. Les deux filles que le duc Louis d'Arpajon a eues d'un premier lit vont entrer en religion, apparemment contre le désir de leur père. Est-ce parce qu'elles portent le traumatisme de la mort de leur mère, Gloriande de Thémines, que le duc son époux aurait, à ce que l'on dit, fait assassiner ? En tout état de cause, le 2 août 1658, une ordonnance de l'évêché de Rodez est sans ambiguïté quant à la vocation de l'une d'elles : ... sur la requête à nous présentée par Dame Louise d'Arpajon, religieuse de l'ordre de la Visitation de Notre Dame, filhe à messire d'Arpajon, duc et pair de France, contenant que pour s'advancer de plus en plus en la voye de la vertu et pouvoir acquérir de plus grandes grâces du ciel, elle est poussée, d'une grande dévotion, de convoler chez ung ordre de religieuses plus austère ; et parce que l'ordre des religieuses de Saint Benoist se tient dans une plus grande austérité, elle désireroit qu'il nous plût luy permetre de s'eschanger audit ordre ...luy avons permis et permettons convoler audit ordre des religieuses de Saint Benoist.
La force de la vocation n'est pas davantage douteuse pour la sœur de Louise, qui se fait carmélite à Paris.
Revenant à Pauletou-lès-Naucelle, lorsque Charlotte d'Imbert a voulu placer dans un couvent les deux filles issues de son premier mariage, elle a dû mobiliser les 4000 livres d'augment obtenues sur les biens de son défunt premier mari, le sieur de Bar. Cette somme n'a d'ailleurs pas suffi et il a fallu ajouter 200 livres.
Mettre des filles au couvent, en effet, ça coûte ! Mais ce serait une erreur que de juger cela avec nos repères actuels. Car au temps des rois, chacun est très responsabilisé et nul ne doit attendre qu'une part notable de ses besoins soit couvert par une redistribution de la richesse collective, comme à présent. Des allocations venant d'en haut n'étant pas davantage dans les moeurs au sein de l'Eglise qu'elles ne le sont alors dans la société civile, une institution religieuse ne peut durer que si elle recueille, par elle-même, les ressources permettant sa survie. A cette fin, une communauté religieuse se doit de faire entrer les sous en même temps que les filles. Les choses ne vont changer que plus tard, au XIX' siècle, lorsque le pays, enrichi, financera de diverses façons l'exercice de la foi : hommes et femmes pourront alors, fort heureusement, entrer en religion sans être auparavant dotés par leur famille.
Comme un certain capital est au départ nécessaire, on peut comprendre que les religieuses du temps des rois ne soient guère issues des milieux populaires. Tirer l'argent des filles de bonne maison entraînées dans les couvents fut même un art, dit-on, dans lequel certains établissements ont excellé. En fait, doter une fille pour la mettre en religion fait souvent l'affaire des deux parties : l'établissement qui la reçoit, la famille (aisée) qui l'y envoie. Car mettre une damoiselle au couvent s'avère moins coûteux que de la marier selon son rang.
Un bel EXEMPLE peut illustrer la chose. Le 19 janvier 1681, messire Jean de Buisson, marquis de Bournazel, règle par testament la dévolution de ses biens. Au même titre que les garçons puînés, la damoiselle non mariée mais destinée à l'être : Marie Camille de Buisson, reçoit 18.000 livres. L'autre fille, Jeanne de Buisson, religieuse novice, va disposer, si elle prononce des voeux définitifs, de la somme de cent escus de pension viagère, en ce comprins la pension qui luy a esté cy devant establie lorsqu'elle entra en religion dans le couvent des Religieuses Nostre Dame de Rodez. Or une rente annuelle de ce montant – cent écus faisant trois cents livres – correspond, avec un loyer de l'argent de 5% très classique en ce temps-là, à un capital de 6000 livres seulement. Le "coût" de la fille envoyée au couvent est donc trois fois moindre que celui de sa soeur à marier.
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » lun. 01 juil. 2013 06:10:07
Les Bournazel sont une grande maison, et les sommes indiquées pour Jeanne de Buisson sont supérieures aux cas courants. Vers 1660, Charlotte d'Imbert, pour ses deux filles du premier lit, damoiselles Anne et Gabrielle del Sallès, a dû payer 4200 livres lorsqu'elle les a casées toutes deux à la Visitation d'Albi, comme indiqué ci-devant. En sus, leur ont été versées 300 livres, à elles léguées par, feu demoiselle Filiberte d'Imbert, leur tante. Toujours vers 1660, lorsque Marie Josèphe de Mazars, d'une fort honorable famille de Moyrazès, entre en religion également à la Visitation, mais à Villefranche, un contrat fait aussi état de 2200 livres.
Le 1" août 1685, sont reçues comme novices au couvent de l'Annonciade des Fargues, au diocèse d'Albi, Jeanne et Françoise de Moly, filles de Jean-Anthoine de Moly, écuyer, ancien capitoul de Toulouse bien connu à Sauveterre où il a des racines. Chacune de ces deux filles qui embrassent alors la vie religieuse est dotée de 1500 livres. Cette somme est dans la bonne moyenne. La dot des autres impétrantes de ce couvent, venues d'un peu partout, se situe habituellement entre 1000 et 2000 livres. Pour la Visitation à Villefranche, A. Ancourt note une moyenne de 1500 à 1600 livres, vers le milieu du XVII' siècle. Mais il cite aussi le cas de Jeanne Crouzet, fille de Jean Crouzet, marchand apothicaire de Sauveterre, entrant comme soeur domestique, en apportant 600 livres. Car à côté des soeurs professes ou de choeur, il y a dans ce couvent comme dans d'autres des soeurs converses ou domestiques, les unes et les autres étant cloîtrées et astreintes aux trois voeux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, à l'inverse des soeurs tourières... chargées du service hors de la clôture, qui ne prêtaient que le voeu d'obéissance.
Les dotations des filles pour entrer au couvent sont donc quelque peu variables d'un cas à l'autre, et en tout cas moins codifiées que celles des garçons qui se destinent aux ordres sacrés, et qui sont enregistrées dans les actes de notaires appelés titres presbytéraux. Il faut rappeler que l'Eglise, estimant que le ministère des prêtres est incompatible avec une trop grande pauvreté, impose à la famille d'assurer au postulant un revenu annuel minimum. Vers la fin du XVII' siècle, ce revenu de base doit être de 90 livres par an, ce qui va se traduire par environ 1800 livres de capitaux bloqués sur la tête du futur diacre, puis prêtre. On peut remarquer que ce montant, bien qu'un peu supérieur à la valeur moyenne des dotations relevées, ici ou là, pour les filles envoyées au couvent à la même époque, en est somme toute assez proche.
Mais si le capital donné aux garçons entrant dans les ordres est souvent constitué de biens réels : un champ, une châtaigneraie, une maison, voire seulement une chambre garnie dans une maison... il semble que la dotation d'une religieuse soit, quasiment toujours, faite de capitaux versés en espèces. Sans doute peut-on penser qu'un prêtre libre de se mouvoir dans le monde est capable de gérer des biens réels, alors qu'une fille soumise à la clôture ne l'est pas. Il arrive d'ailleurs que la famille peine à verser la somme promise à la communauté religieuse, comme cela se voit souvent pour les dots accompagnant les mariages. Ainsi, Jacques Pouget-Capelle, bourgeois du lieu de Calmont-de-Plancatge, qui a placé sa fille au monastère de St Joseph de l'ordre de Saint-Dominique à Rodez, reste débiteur de onze cens livres vis-à-vis de cette institution ; faute de pouvoir payer, il transforme le 10 juin 1689 cette somme en rente... annuelle et constituée de cinquante cinq livres payable à perpétuité, comme cela se fait alors classiquement pour les dettes civiles.
La sélection par l'argent qui conditionne l'intégration dans un couvent, limite, on s'en doute, le gisement potentiel de religieuses dans la population. Et cependant, leur effectif semble s'accroître à partir du XVII' siècle, lorsque les Guerres de Religion et les règles d'organisation de l'Eglise édictées au concile de Trente, comme parade au protestantisme, commencent à être "digérées" dans le royaume de France. Alors que, dans le même temps, le nombre de prêtres décroît (principalement parce que l'Eglise dans le droit fil des recommandations du concile de Trente devient plus exigeante sur la qualité du recrutement), celui des filles mises en clôture semble, à l'inverse, assez sensiblement se développer. On observe un peu partout un vif essor des créations et des implantations de congrégations féminines, et cela se perçoit en Rouergue : à Espalion, les Ursulines apparaissent en 1635, et les Visitandines en 1642 à Villefranche ; les Clarisses sont à Mur-de-Barrez à partir de 1654 ; la communauté de la Falque près Saint-Geniez est fondée en 1680 ; etc...
Mais les effectifs globaux restent limités : tout bien pesé, il semble qu'il ait pu y avoir, au plus haut, quatre à cinq cents religieuses ayant fait des voeux définitifs, dans le diocèse de Rodez, c'est-à-dire largement moins de 1 % de l'ensemble des femmes.
Ce qu'il faut impérativement garder en mémoire, c'est que jamais on ne pouvait concevoir une religieuse vivant dans le monde, libérée des grilles et de la clôture, avant le XVII' siècle. Et dans ce coeur du Ségala qui est notre territoire-cible, on ne peut citer comme lieu de résidence de communautés cloîtrées – autrement dit comme vrais couvents – hormis Rodez, que le Monastère Saint-Sernin (sous Rodez) et son annexe de Saint-Just-sur Viaur.
Mais les choses vont bouger en Rouergue au temps du Roi-Soleil.
REPÈRES
LES FILLES DE LA CHARITÉ
Saint Vincent de Paul, grande figure du renouveau catholique au XVII' siècle en France, semble dans notre pays être le premier à réussir l'établissement d'un ordre féminin non cloîtré avec les Filles de la Charité. Avant lui, François de Sales et Jeanne de Chantal, fondant l'Ordre de la Visitation, auraient également voulu que les Visitandines soient séculières. Mais ils durent s'incliner devant l'opposition de l'archevêque de Lyon.
Fondées en 1633 par Vincent de Paul, assisté de Ste Louise de Marillac, les Filles de la Charité ne sont pas religieuses au sens où on l'entendait alors. Vincent de Paul présente ces Filles comme des auxiliaires des Dames de Charité, confrérie instituée quelques années plus tôt par le même fondateur, avec le projet d'apporter bonne parole et secours aux malheureux. Selon Vincent de Paul, ce sont de bonnes filles de la campagne, se vouant au service des plus démunis. On les appellera plus tard Soeurs Grises, et leur ordre connaîtra un développement considérable, au service des pauvres, des malades, des enfants trouvés, des orphelins...
A côté des couvents, apparaissent des organisations séculières, dont les Filles de l'Union sont l'exemple-type. Bien que dévouées à la cause de Dieu, ces filles ne sont pas des religieuses, selon les normes du temps, puisqu'elles ne vivent pas cloîtrées. Une ordonnance synodale de Mgr Lezay de Luzignan en 1688 explique l'intérêt de telles institutions par les nécessités de ce diocèse... où les plus grands désordres qui s y rencontroint autrefois provenoint de la mauvaise éducation des enfans et principalement des filles qui vivoint dans l'oisiveté et l'ignorance des choses essentielles de la religion et à leur salut, n'y ayant presque personne qui leur aprint les maximes chrétiennes et les ouvrages qui sont nécessaires et convenables à leur sexe...
Au travers du CAS que constituent ces filles, on voit éclore un recrutement moins "aristocratique" pour celles qui se consacrent à la cause de Dieu. En ce qui concerne les filles de l'Union, l'ordonnance de Mgr de Luzignan cite les trois implantations de Marcillac, Saint-Geniez et Sévérac en 1688. Il y en a une dizaine en Rouergue plus tard, en 1761, selon le chanoine Touzery. Le texte épiscopal de 1688 précise objectifs et discipline pour les veuves et les filles qui s'engagent dans cette Union : ...à condition que celles qui s 'uniront et s 'associeront s 'apliqueront principalement à l'éducation des pauvres filles qu'elles élèveront dans les moeurs véritablement chrétiennes et les instruiront des Mystères de notre religion et de ce qu'elles doivent savoir et faire pour gagner leur vie...; et affin de bannir à perpétuité de celles qui composeront ces sociétés chrétiennes tout désir de former... des couvens, comme il est quelquefois arrivé, nous ordonnons que lesd. veuves et filles ainsi unies... seront et demeureront séculières, sans qu'elles puissent jamais être contraintes à faire aucuns voeux ny garder aucune clôture...
Il y a des religieuses et des filles séculières dont l'institut est de s'employer au soin des malades... il en est d'autres qui ont été établies pour l'instruction des filles, et d'autres enfin qui ne travaillent qu'à leur propre perfection... Au XVII' siècle, religieuses d'une part et filles de l'autre, s'impliquent donc dans ce qui va constituer plus tard leurs domaines d'excellence : l'instruction des filles jeunes et "l'humanitaire". Les Ursulines d'Entraygues, les Ursulines d'Espalion, les Visitandines et les Ursulines de Villefranche, les religieuses de l'Annonciade et celles de Notre-Dame à Rodez, les filles de sainte Agnès à Laguiole et en Carladez, etc... "instruisent la jeunesse de leur sexe". Le chanoine Touzery dit encore des soeurs de l'Union, à Saint-Geniez qu'elles s'occupent des pauvres, des malades, et "enseignent les jeunes filles".
Des filles de bonne maison du Ségala ont pu être en pension dans les couvents, comme le montre en 1663 une quittance de Madeleine de Brussac, abbesse du monastère Saint-Sernin (sous Rodez), pour la somme de deux cens quatre livres pour la despens et instruction de Jeanne Dangles, filhe à feu Jean Dangles, de la Valière paroisse de Vors, pour le temps et terme de deux ans dix moys que lad. Jeanne Dangles a demeuré dans led. couvent.
Et pour ce qui est des institutions séculières, s'il ne semble pas que la plus remarquée en Rouergue : les Filles de l'Union, ait eu une implantation en Ségala central, on y trouve néanmoins au XVIII' siècle trace de personnes vouées à Dieu, et séculières. Cécile Gasc par exemple, du moulin de Gary paroisse de Naucelle, s'engage dans les filles de la Providence en 1734. Catherine Lacombe, soeur du tiers ordre de St Dominique, âgée de 44 ans environ... décède et est enterrée à Naucelle en 1748. Et en 1764 est également ensevelie à Naucelle Marie Drulhe, soeur du tiers ordre de St Dominique, âgée de 38 ans, habitante au village de Soulages... Apparemment, ces deux dernières vivaient donc dans leur famille, ce qui n'était peut-être pas le cas de la maîtresse d'école, à Sauveterre, où il y a en 1771 pour tenir les écoles, une demoiselle de la Providence de Toulouse.
Il reste que l'on est alors fort loin d'une implantation dense en milieu rural, semblable à celle qui reste dans les mémoires pour la première moitié du XX' siècle, chacun connaissant en cette matière le rôle majeur joué par l'institution établie à Gramond.
Une ENIGNIE, au passage... Dans la paroisse de Carcenac et commune de Quins, existe une maison du nom de Naucoules. Les anciens, lorsqu'ils en parlaient, l'appelaient : le couvent. Or Naucoules est probablement Nau-Cella, c'est-à-dire nouvelle cellule. Dans un texte du XVII' siècle, on trouve, pour ce lieu, le nom de : la Pénitence. Quel passé peut avoir eu ce site ?
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » ven. 05 juil. 2013 05:48:26
Un recrutement élitiste, un faible effectif, peu ou pas de mélange avec le peuple des campagnes qui alors fait la masse... ces trois caractères marquent clairement la population des religieuses au sens strict, en Rouergue au temps des rois. Mais les voeux de celles-là, ou l'engagement de filles ou de veuves dans les communautés séculières naissantes, ne sont pas les seules manifestations de la force de la religion. La piété est dans le coeur de toutes les femmes.
Selon Diderot, la femme... se fait dévote dans l'âge avancé. Car, ajoute-t-il, lorsque les ans viennent à peser, négligée de son époux, délaissée de ses enfants, nulle dans la société, la dévotion est son unique et dernière ressource.Il faut certes prendre pour ce qu'ils sont ces traits de beaux esprits, tendant volontiers au péremptoire. Néanmoins, les propos de ce mécréant avéré laissent entrevoir que sous l'Ancien Régime, l'Eglise a su réserver au deuxième sexe une considération particulière, et lui ménager une place plus chaleureuse, plus gratifiante, plus épanouissante peut-être, que ne le fait alors la société civile.
L'homme et la femme ne se voient pas attribuer une identité de statut dans les institutions catholiques – tout comme à présent, d'ailleurs – mais l'essentiel, alors, ce n'est pas l'ici-bas, c'est le salut éternel. Or au royaume des cieux, chacun a le même avenir. Dieu n'y fait pas ou peu de différence entre le masculin et le féminin. Les saintes du Rouergue qui d'en haut assistent les pauvres humains : sainte Procule, sainte Tarcisse, sainte Foy... ne sont pas de second rang dans la ferveur populaire. Vers sainte Marthe à Cabanès, vers sainte Quitterie à Lespinassole, montent bien des prières. La dévotion mariale, surtout, paraît vive, et semble même s'accroître à certains moments de l'Ancien Régime : la poussée des pèlerinages à Ceignac, lieu consacré à Notre-Dame, en est un signe pendant la deuxième partie du XVII' siècle. Et dans les testaments rouergats d'alors, commençant souvent par une prière enregistrée devant notaire,(21) la benoiste, la glorieuse Vierge Marie est fréquemment la première médiatrice que l'on invoque aux abords du trépas. Enfin, Dieu ou ses saints vont tout aussi bien secourir la femme que l'homme, dans l'épreuve.
Un exemple peut en témoigner : "...en 1652... la ville de Rodez fut contaminée par la peste... Izabeau de Boissière, veuve de Messire Antoine d'Espinasse, seigneur de Carcenac, atteinte de cette affection terrible, se recommanda au bienheureux François (d'Estaing). Elle se trouva alors soudainement guérie de son mal..."
Au sein des paroisses, certaines cérémonies, comme la bénédiction des relevailles, sont spécialement vouées à la femme. A la maison, c'est elle qui préparant les repas, est gardienne des pratiques liées à la religion, comme le jeûne et l'abstinence. A l'extérieur, à la frange de l'Eglise, les personnes de la bonne société s'engagent dans les bonnes oeuvres, comme les Dames de la Miséricorde à Sauveterre ainsi qu'à Rodez. Enfin, aussi bien que les hommes, les femmes sont membres des confréries paroissiales existant un peu partout, dédiées au Saint Rosaire, au Très Saint Sacrement...
A Quins, la confrérie du Très Saint Sacrement, peut servir d'EXEMPLE. Elle fut fondée dans cette paroisse en 1645. On la préféra à une confrérie du Saint Rosaire, plus classique, vu que les paroisses circumvoisines avoint ceste confrérie (du Saint Rosaire), comme Sauvaterre, Naucelle, Salan et Gramond. En conséquence s'il y avoict quelques parrochiens qui ussent dévotion à lad. confrérie à l'honneur de la Glorieuse Vierge du St Rosaire, ils s'y pourroict aller, mètre et enrôler à un desd. lieux... alors que, pour le Saint Sacrement, la confrérie la plus proche est dans Rodès. Or, les bulles données par Nos Saincts Pères les Papes de Rome en faveur des confrères... de lad confrérie (du Saint Sacrement) ... confèrent et donnent de grandissimes bénédictions, privilèges, grâces et indulgences.
La première. liste des confrères du Saint Sacrement à Quins, établie en 1645, permet de remarquer qu'il y a davantage de femmes que d'hommes (48 contre 39). Parmi elles se trouvent les damoiselles nobles résidant en ce lieu : Jeanne de Calviac, Marie de Roman, Jeanne de Gayraud, respectivement mère, épouse et soeur de noble Jean de Gayraud. Mais pour autant il n'est pas ici question de sélection par la naissance ou par l'argent : en 1704, est accueillie Catharine Pouget, de la Rénouvie – une lointaine ancêtre de l'auteur – qui ne nageait pas dans l'opulence, ou bien en 1763 Marie Fabre, servante chez Briane de Quins, et encore en 1769 Marianne Alousque, également servante chez Boutonnet de Man Miech. L'Eglise sait donc réserver à toute femme une place aux côtés de Dieu. Et dans cette confrérie de Quins, si les postes de responsabilité sont très généralement occupés par des hommes, on note cependant que Claire Couffinhale est baillesse en 1655, Claire Busquette femme de Jean Malrieu de la Cazotie et Anne Castande de Lugan étant questrisses en 1648.
REPÈRES
L'ART DÉLICAT DE TRAITER LES OUAILLES DE SEXE FÉMININ.
Un texte du XVIII° siècle intitulé "Règles de conduite dans l'Administration d'une Paroisse fait sentir à quel point les relations prêtres-femmes ont été une question délicate. A côté de préceptes de haute tenue, des situations très concrètes auxquels sont confrontés les pasteurs sont évoquées dans ce document, comme la préparation au mariage, le problème que posent les femmes vraiment martyres de la brutalité de leurs maris, les usages sexuels déviants, les dangers que fait courir aux filles la danse (celles des nopces sont vraiment les plus dangereuses à cause des circonstances du mariage, du vin...), la gestion par la femme du jeûne et de l'abstinence à la maison, etc... Et il y a aussi la tentation et le qu'en-dira-t-on :
...(si) j'ai dans ma paroisse certaines personnes du sexe d'une vertu assez équivoque et qui ne sont plus sous puissance de Père et Mère, certaines jeunes veuves de moeurs pareilles, certaines jeunes dames dont les maris font de fréquentes absences... la première visite pastorale exceptée, je ne dois jamais rendre visite proprement dite à des personnes de cette espèce ; et s'il arrivoit qu'elles m'en rendissent, je mettrois dans mes procédés... quelque chose de si froid que cette visite serait probablement la dernière... Il est des personnes du sexe qui mettent leur gloire à compter beaucoup de victimes et un prêtre surtout est souvent celui qu'elles désirent plus passionnément s'attacher...
...je n'ai pas seulement à me méfier des personnes du sexe équivoques et libertines... mais de jeunes soeurs, de jeunes institutrices, de jeunes sacristines, de jeunes personnes qui donnent dans la piété, soit réellement, soit qu'elles en prennent la marque pour mieux me séduire, voilà mon écueil... Il est peu de prêtres perdus par les filles du monde, il y en a beaucoup de perdus par les filles pieuses...
...Je ne confesserai jamais les personnes du sexe à la sacristie, si ce n'est pour cause de surdité ou d'infirmité si grave que la confession seroit impossible au confessionnal public... Je ne confesserai jamais la nuit... j'aurai toujours le matin avant le jour et le soir quand il fera nuit un cierge allumé tout près du confessionnal... Je terminerai plus promptement la confession de la dernière (pénitente). C'est une chose terrible pour un prêtre de se trouver seul avec une jeune personne du sexe avec un corps épuisé de fatigue et une imagination pleine d'obscénités entendues...
Rien n'est parfait cependant, y compris dans ce coeur de Ségala rouergat intensément catholique, car Eve fut soumise à la tentation, et par ailleurs tentatrice. Que dire de ses descendantes ? Tentatrice, la femme peut l'être notamment pour les individus de sexe masculin qui ont choisi la voie spirituelle. Ils ont fait voeu de chasteté. En conséquence, toute une série de dispositions, pour la plupart postérieures au concile de Trente, ont pour objet de préserver la vertu de ces hommes consacrés à Dieu, et de leur éviter de succomber à la tentation. Le 26 octobre 1649 une ordonnance de l'évêque de Rodez, précise au sujet des ecclésiastiques : ...leur deffendons très expressement de tenir aucunes femmes chez soy ou de demeurer chez elles, hormis les parentes permises par le droit et servantes d'âge canonique... en la chambre desquelles, il leur est défendu de coucher. Une autre ordonnance du 7 février 1660 fait aussi défense aux ecclésiastiques du diocèse... de fréquenter aulscungs cabarets, bals et aultres assemblées de femmes et de filles... et de vagabonder par les rues la nuit.
Car l'homme est esprit mais il est aussi chair. La chair fait le corps et les corps sont sexués. Et les sexes s'attirent. Sur ce registre, et revenant aux religieuses, on serait coupable si on n'évoquait pas l'histoire poétique et fort émouvante contée par Amans-Alexis Monteil. Ayant perdu son épouse, Annette, née en 1776 et éduquée dans un couvent aux temps d'Ancien Régime, il rapporte, après que soit passée la Révolution, les souvenirs de celle-ci :
... Annette m'a souvent parlé de cet ancien monde féminin qui vivait au delà des grilles : entre autres histoires, elle m'a raconté celle de la soeur Lagorrée, jeune religieuse, blanche, belle, douce, et sans doute sensible comme une colombe. Elle avait une jolie voix et se plaisait à chanter, à l'extrémité du jardin, où donnaient les fenêtres d'une maison particulière. Un jeune homme s 'y faisait voir quelquefois et l'accompagnait de la flute. Je ne sais si de la musique ils en vinrent aux paroles, mais on les surprit et la soeur fut enfermée dans la chambre.
Les punitions et les réprimandes exaltèrent sa tête : deux fois elle tenta de mettre le feu au couvent. On la mit dans une prison perpétuelle où les chagrins ne tardèrent pas à la tuer. On l'enterra dans le cimetière des religieuses, au pied d'un prunier qui, l'année suivante, se chargea d'une prodigieuse quantité de ces prunes grasses, blanches et roses, comme le visage de la feue soeur Lagorrée: "on aurait dit" ajoutait Annette "qu'elle voulait encore apparaître à ses compagnes sous la forme de ces fruits "...
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » mar. 09 juil. 2013 05:55:50
Chapitre XII -
AU SERVICE DES AUTRES,TOUT UN DÉGRADÉ DE SITUATIONS.
Grand émoi, sans doute, au village de Caussanel paroisse de la Capelle-Saint-Martin, ce 17 mai 1656... Car vient d'arriver Monseigneur Jean Louis d'Arpajon, marquis de Sévérac, fils du duc Louis d'Arpajon, puissant personnage du moment. Il se rend dans la maison de Raymond et Bernard Tournier, père et fils, habitants de ce village.
On comprend la visite d'un tel seigneur chez ces manants dès que l'on sait que le fils Tournier (Bernard) a épousé deux ans auparavant la fille de Catherine Colombe qui a esté nourisse de mond. Seigneur le marquis... Jean Louis d'Arpajon n'a donc pas oublié sa nourrice ! Peut-être a-t-il partagé avec la nouvelle épousée, sa soeur de lait, prénommée Catherine comme sa mère, les joies de sa prime enfance. Peut-être est-il d'autant plus attaché à cette nourrice que sa mère à lui, Gloriande de Thémines, n'est plus de ce monde. Il se murmure en effet que le mari, ce duc Louis d'Arpajon à présent pair de France, aurait, sous l'empire de la jalousie, organisé l'assassinat de Gloriande : l'ayant envoyée depuis Sévérac en pèlerinage à Ceignac, il lui aurait fait ouvrir les veines par un chirurgien, dans la traversée de la forêt des Palanges.
Le duc d'Arpajon, et Jean Louis, son fils, s'apprécient peu. Ce dernier, d'ailleurs, va se rebeller contre son père, se saisissant par la force du château de Sévérac. Le duc va le déshériter. Au milieu de ces affrontements familiaux, la nourrice, Catherine Colombe, serait-elle par contraste restée un havre de tendresse pour Jean Louis d'Arpajon ?
Au château de Calmont-de-Plancatge, le 4 juillet 1654, lorsqu'a été établi le contrat de mariage de Catherine, ses parents lui ont constitué une dot, une dot forcément modeste car ils peuvent peu : ...trois cens livres et une poline de valeur de vingt cinq livres... Mais Monseigneur Jean Louis est là ! Il fait ce qu'il faut pour sa soeur de lait, et il n'est pas chiche : ...en considération de Catherine Colombe (mère de la fiancée) qu'a estée sa nourrice... a donné et donne... la somme de mil deux cens trente livres, une robe raze de Nismes avec son cotilhon, lad robe de couleur rouge et led cotilhon couleur de pourpre... Au total, cela fait presque une dot de damoiselle, pour la future.
Et donc à Caussanel, en ce jour de mai 1656, Jean Louis d'Arpajon est venu apporter ce qui lui reste à donner sur ce qu'il promis : ...huict cens dix neuf livres, en argent ou pour la valeur d'une poline apprétiée à septante cinq livres argent, une robe et cotilhon de raze...
Etre au service de la maison Arpajon, ce n'était pas rien !
Toutes celles qui doivent aller gagner leur vie hors de chez elles ont-elles la chance d'avoir un employeur de la classe de ces grands seigneurs ? Hélas non !
Servir de la haute noblesse, ou bien être chambrière chez un bourgeois, ou bien servante d'un curé de campagne, ou bien fille de salle dans une auberge, ou bien domestique à la peine dans une ferme ou encore petite bergère en guenilles... cela donne tout un dégradé de situations. A- Monteil, historien rouergat, écrivait il y aura bientôt deux siècles à propos de la domesticité masculine : ...aucun valet du château... ne souffrirait d'être comparé aux valets laboureurs qui travaillent... Ce devait être tout aussi vrai pour la domesticité féminine.
Mais si le travail des femmes au service des autres s'étage sur plusieurs niveaux, il y a néanmoins une constante, alors : aucun métier vraiment qualifié n'est confié à du personnel féminin. A l'exception de quelques veuves, en charge du destin de la famille en relève d'un mari décédé, qui sont réellement aubergistes, meunières, marchandes, etc... on ne trouve quasiment jamais de vraie profession assumée par une femme, dans ce coin de campagne rouergate. Hors de la maison natale, l'emploi féminin reste massivement centré sur le service.
Il existe une autre différence entre hommes et femmes : celui du niveau des salaires dans la domesticité. A titre d'EXEMPLE, on peut noter les salaires annuels donnés par A-A Monteil, pour le monde de la campagne vers la fin de l'Ancien Régime :...
premier valet de charrue, 45 livres...
autres valets, 25 livres...
maître berger, 36 livres...
ménagère, 12 livres...
servante, 10 livres...
Des relevés en Ségala confirment la disparité des salaires entre hommes et femmes, quoique moins élevée que ne le dit Monteil, –semble-t-il. Ainsi, au château du Bosc, en 1713, un cocher, Jacques Caries gagne par an soixante livres, entretenu de justaucorps et de veste. Paul Boyer, laquay la même année, est entretenu de justaucorps et gagne trente livres. De 1707 à 1712, Renie, femme de chambre, gagne 30 livres, et à la même époque, Anne, servante, 17 livres par an.
C'est à coup sûr du côté des grandes et bonnes maisons qu'il faut aller chercher le haut de gamme des emplois de service.
Ainsi, lorsque dame Louise Aymée de Tournon – épouse de Jacques d'Imbert, fils aîné des seigneurs du Bosc – dicte son testament en 1696, on y relève cette mention : ...ordonne lad. dame testatrice que les gages qui se treuvent dus à la demoiselle de La Bruyère qui la sert à la chambre, luy soient payés ; et outre par dessus luy donne et lègue une fois autant comme elle gagnait de gages pour un an... comme aussi luy donne tout son linge grossier et celles de ses juppes qui lui conviendront pour son usage... La qualification de demoiselle, ici employée pour cette chambrière, indiquerait-elle que l'on a affaire à une véritable dame de compagnie ? On peut le penser.
Dans les dernières volontés de Louise de Tournon, outre la préoccupation que soient payés les gages, on observe le souci de ne pas laisser sans ressources, dans les temps qui suivent le trépas de l'employeur, un personnel de service qui fut dévoué. Cette attitude se rencontre assez fréquemment. Ainsi, lorsque Jean V d'Arpajon – grand-père de ce Jean Louis évoqué tout au début de ce chapitre – teste en mai 1634, il a quelques mots pour sa chambrière : ...parce que Catherine de Galhac, chambrière, les a servys cinquante et tant d'années, sans qu'elle eust reçu aultre payement de ses gages que ses habits, veult qu'elle soit nourye et entretennue aux dépens de sond. héritier, si mieux il n'ayme luy bailler annuellement dix sestiés seigle et dix livres argent...
Une attitude identique se retrouve chez des bourgeois, comme le riche sauveterrat Jean Moly qui dit de sa servante, dans son testament en juin 1679 : ... à Anthoinette Coucourusse, ma chambrière, pour les bons et agréables services qu'elle a rendus à feu ma bonne mère et à moi, et que j 'espère d'en recepvoir, outre son salaire, je luy fais la pantion annuelle de la quantité de trois cestiés bled seigle... tant qu'elle vivra et tant qu'elle demeurera à se marier.
Les hommes d'Eglise sont porteurs d'emplois, car il leur faut du personnel de service. Tous, cependant, ne font pas le choix de la domesticité féminine. Il en est qui préfèrent employer un homme, moins compromettant, sans doute, aux yeux de leurs ouailles qu'une personne portant jupon. Me Dalbin, prieur-curé de Gramond est apparemment de ceux-là. Après son décès à Gramond en 1669, on fait l'inventaire de son habitation ; alors qu'aucune servante n'est mentionnée, on note en revanche la présence dans la cuisine d'un vieux lit, rompu, avec pailhas, une vielhe couverte blanche, un cuissin plume et un meschant rideau rouge de trois piesses, dans lequel le valet avait accoustumé dormir
A Quins, Me Joseph Rouquette, recteur, a lui aussi sans doute préféré un serviteur de sexe masculin, puisqu'il évoque dans son testament de 1728 un valet à qui il lègue la somme de cinquante livres et quatre de (ses) chemises les meilleures.
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » sam. 13 juil. 2013 05:43:32
REPÈRES
SERVANTES DE CURÉS...
La question des emplois de service devrait tout autant être analysée sous l'angle des besoins et des problèmes de l'employeur que de ceux du personnel employé. Un texte de la fin du XVIII' siècle déjà cité au précédent chapitre est, à ce titre, assez remarquable. Présenté comme une série de conférences visant à guider de jeunes ecclésiastiques au moment où ils vont se lancer dans leur ministère, la question des servantes de curés de paroisse y tient une place notable. Voici de (trop) brefs extraits de ce document :
...rappelons la maxime de Me L... : "quelle que soit la paroisse, je suis sûr d'y trouver deux personnes qui peuvent me faire un très grand mal : le maître d'école et ma servante."...
Qui pourroit compter le nombre de prêtres qu'une domestique libertine a corrompu ; indiscrète a compromis ; avare a rendu tel ; dure et maussade a fait détester ; fausse dévote a tourmenté ; sans miséricorde envers les pauvres, causeuse, gourmande, etc., etc., etc... Je serai tellement persuadé de tout ce que cette engeance a de capricieux que j'aimerais mieux (à l'arrivée dans une paroisse), pendant plusieurs jours et même plusieurs mois, faire venir de l'auberge ou bien d'une maison voisine tout ce qui me seroit nécessaire pour ma nourriture et le service de ma maison... que de m'exposer à prendre une servante qui ne m'est pas bien connue...
Et que je ne me dise pas que si elle ne me convient pas je pourrai la renvoyer, car, ne m'en déplaise, c'est une chose des plus difficiles...
Une véritable grille pour la sélection, à l'embauche, d'une servante de curé, est ensuite longuement explicitée, sur la base de sept critères principaux :
1 - AGE requis par les canons : 40 ou 42 ans, tous les diocèses s'accordent sur ce point de discipline... Oui, l'Eglise est pleine de sagesse en défendant aux prêtres d'avoir à leur service une femme en dessous de cet âge... Qui me dit qu'en se deshonorant par une grossesse évidente, elle ne fera pas planer sur moi un crime dont je suis innocent devant Dieu, mais dont je ne pourrai me justifier devant les hommes...
2 - CHASTETÉ :...il faut qu'elle ait toujours passé, ou au moins depuis longtemps, pour une fille chaste qui a embrassé bien décidément le célibat... Dans combien de paroisses, un public aujourd'hui fort méchant fera de ma domestique ma femme... C'est la légèreté, la mondanité de ma domestique qui paralyse tout mon ministère...
Si je garde chez moi une fille dont le coeur n'est pas chaste, elle va me tendre une multitude de pièges adroits pour me corrompre et me jeter dans un abîme dont je n'aperçois la profondeur que lorsque j Y serai tombé...
3 - PIÉTÉ : ...une piété franche, solide et éclairée... une fausse dévote est une furie dans ma maison...
4 - ÉCONOMIE : ...on m'a certifié que tel pasteur; qui d'ailleurs vit convenablement, doit à une domestique bien formée à l'ordre et à l'économie plus de 3 à 400 livres tous les ans...
Ma domestique sera aussi bien nourrie que moi... je lui dirai qu'elle peut prendre à chaque repas un verre de vin...
5 - AFFABILITÉ : ...accueil gracieux (que) j'exigerai si impérieusement que ce seroit une condition sine qua non...
6 - Grande DISCRÉTION : ...elle ne doit pas se mêler de mon ministère... ne doit pas aller passer les soirées chez les autres ou amener des filles dévotes à la cure... (ne pas) manger dans ma chambre...
7 - Beaucoup de CHARITÉ envers les pauvres... pas de sévérité inexorable...
Etre servante d'ecclésiastique a pu être un poste enviable. On le pressent en voyant les curés de ce coin de Rouergue attentifs à ne pas laisser dans le besoin celle qui les a servis jusqu'à leurs derniers instants. En 1700, Me Pierre Bories, prieur-curé de Frons, assure par son testament une quasi retraite à sa servante, Jeanne Barre. Tant qu'elle vivra, elle aura l'usufruit de quelques terres, qui ensuite doivent revenir à l'oeuvre de Frons. Et Me Bories ajoute : ...par dessus quoy, je lègue encore à ladite Jeanne Barre, ma chambrière, deux charretées bled seigle de dix cestiès chacune, faisant vingt cestiès, et le lict où elle couche actuellement avec son entier assortiment, deux couvertes laine, six linceuls, douze serviettes, trois nappes, cinq escuelles estain, dix assiettes estain et cinq plats aussi estain, un pot de pouti (=métal à base de cuivre et fer), un chaudron cuivre outre celui que lad. Barre a dans ma maison...
Me Michel Gely, curé de Carcenac-Peyralès, adopte en 1725 une attitude de même nature : il lègue aux ouvriers ou fabriciens de lad. église (de Carcenac) la rente annuelle de neuf livres établie sur une partie des biens de Bernard Boutonnet de Pruns, paroisse de Camboulazet... et par ailleurs... à Mrs les curés dud. Carcenac, ses successeurs... une maison qu'il a fait construire dans le temps qu'il a esté curé, joignant le cimetière, confrontant la place publique et l'église dud. lieu ; mais il précise qu'il veut néantmoins que Catherine Rouzières, son ancienne servante, jouisse tant qu'elle vivra, tant de la susd. rente de neuf livres que de lad. maison...
Dans d'autres CAS cependant, ces dons semblent marqués par une certaine parcimonie. François Puech, prêtre de Sauveterre, fait ainsi un legs en 1670 à Cécile Pradines, fille d'un tisserand de Sauveterre, en recognoissance des bons et agréables services qu'il a reçus d'icelle et reçoit encore dans sa maison... mais cela se limite à ...la somme de six livres pour icelle employer à l'achapt d'une robe.
En 1767, le curé de Centrès fait certes par testament quelques cadeaux à Jeanne Rauch, sa servante, et si on remarque parmi eux... un crêpe pour luy suivre le deuil pendant l'année du deuil... il est bien précisé qu'il devra être rendu à Anthoine Albouy, neveu et héritier de ce prêtre, après laquelle année.
Ces servantes d'ecclésiastiques, ou de bonnes maisons nobles et bourgeoises, ont à coup sûr un sort satisfaisant, comparé à celui de la masse des domestiques du temps, qui travaillent dans le "secteur productif" comme on dit maintenant, et non chez des employeurs "rentés". Car la vie des servantes dans les exploitations agricoles, ou encore dans les auberges, paraît fort rude.
De plus, lorsque l'on jette un ceil sur les affaires portées devant les juges des seigneuries — juridiction de proximité en ce temps-là — les réclamations pour salaires impayés, qu'il s'agisse de ceux de valets ou de ceux des servantes, apparaissent très fréquentes.
Dans la seigneurie de Verdun, au cours des quarante années qui précèdent la Révolution, près de 10 % des affaires portées devant le juge sont le fait de domestiques à qui les gages n'ont pas été payés. Une proportion presque aussi forte se retrouve dans la justice de Moyrazès, à la même époque. Outre que leur travail était dur, que la considération et l'affection leur était plus que mesurée, les servantes de ferme, bergères, porchères... avaient donc parfois du mal à recevoir leur dû.
Leur rémunération, pourtant, n'était en rien somptuaire. C'est en effet parce qu'il est à bas coût que le service des autres est alors assez développé. Il faut être conscient que l'offre d'emploi est ici limitée, car la présence d'une domestique ne peut s'imaginer seulement que dans les maisons ayant une certaine aisance. Or 30 % ou au mieux 40 % des foyers, en Ségala, avaient la tête hors de l'eau, a-t-on indiqué ci-devant. Il était bien impossible aux autres, les foyers qu'on a dit modestes, dont le destin habituel était de tirer le diable par la queue, de créer un poste de service rémunéré. Et en conséquence, avec des emplois "solvables" potentiellement rares et une offre de bras pour le travail en excédent, le niveau des salaires ne pouvait qu'être médiocre.
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » mer. 17 juil. 2013 06:34:26
Le CAS de Cabanès, étudié par Gilbert Imbert, permet, à partir d'un recensement des communiants en 1696, de situer les effectifs de service féminin dans un secteur rural.
81 feux sont inventoriés dans cette paroisse, abritant 145 communiantes. Parmi elles, on peut d'abord repérer des filles non mariées, restées à la maison natale, nommées soeurs, belles-sœurs, tantes... qui à la campagne jouent le rôle de servantes sans solde et captent de ce fait une partie de l'emploi potentiel de service : elles paraissent être une quinzaine, sur 145 femmes au total, bien qu'on ne puisse pas les dénombrer avec une certitude absolue. Il y a ensuite les communiantes clairement appelées servantes ou bergères. Elles sont 16 de la sorte, soit une pour cinq feux environ. C'est loin d'être massif ! Mais peut-être y a-t-il en sus, dans la paroisse, des fillettes au travail qui ne sont pas inventoriées, car non encore communiantes...
Un autre relevé à partir d'un registre de capitation de 1695 sur le secteur de Tanus, dans l'Albigeois tout proche, nous a aussi été aimablement communiqué par G. Imbert. On y dénombre 18 servantes pour 66 feux. Mais il est à remarquer que dans cette communauté vivent 3 familles nobles qui à elles seules emploient 5 servantes, alors qu'on n'a pas de foyers de cette qualité dans la paroisse de Cabanès. Avec 13 servantes pour les 63 feux restants, on retrouve à peu près le même ratio qu'à Cabanès.
Une partie de la domesticité féminine, à la campagne, devait être fort jeune. Philippe Ariès est probablement dans le vrai – même si certains discutent aujourd'hui les points de vue de ce brillant historien – lorsqu'il écrit à propos des temps d'Ancien Régime : "...la durée de l'enfance était réduite à sa période la plus fragile, quand le petit d'homme ne parvenait pas à se suffire... De très petit enfant il devenait tout de suite un homme jeune, sans passer par les étapes de la jeunesse... qui sont devenues des aspects essentiels des sociétés évoluées d'aujourd'hui."
Ici en Ségala, divers indices font humer que les choses étaient bien de la sorte. Ainsi, voit-on vers 1763 un pagès de Lugan, paroisse de Quins, qui s'est laissé aller à faire un enfant illégitime à sa servante, doter celle-ci de 130 livres et lui trouver un mari, un brassier du Tarn, qui doit en quelque sorte être un père de remplacement pour la fillette née de ses oeuvres. Or ce brassier s'avise ensuite de faire un peu de chantage, voulant davantage de sous pour supporter la charge de l'enfant. La chose se plaide. Et devant le juge, le pages indique clairement que la somme versée est, d'une part définitive, et d'autre part délivrée avec comme contrepartie que ce père de remplacement s'oblige nourrir au moyen de lad. somme l'enfant... jusqu'à l'âge de sept ans. Autrement dit, après sept ans, que cette fillette se débrouille ! Cela laisse à penser que l'on devait probablement rencontrer, ici ou là, certaines bergères qui avaient tout juste cet âge-là, au temps des rois.
De jeunes et mignonnes pastourelles... cela pourrait inciter à des débordements poétiques, pour peu que l'on ait l'idée de considérer les travaux des champs comme un joyeux amusement. Madame de Sévigné n'a-t-elle pas écrit quelque part que faner.. c'est tourner du foin en batifolant ? Les aînés se rappelant à quel point faire les foins était pénible, avec les méthodes d'autrefois, auront peut-être un autre point de vue que cette épistolière ! Et si on s'attendrit à présent sur le travail des enfants dans le tiers monde, une attitude de même sorte semble vraiment justifiée à l'endroit des fillettes placées naguère dans des fermes. Ces bergères étant des créatures de faible importance sociale, elles n'ont porté jusqu'à nous que peu d'information . Les documents ne disent guère où elles couchaient, ce que l'on mettait dans leur écuelle, comment elles étaient vêtues...Leur qualité de vie fut-elle convenable ? C'est bien incertain... On peut aussi soupçonner qu'elles ont été à l'occasion en butte à du "harcèlement sexuel", pour parler comme on le fait maintenant, lorsque l'on note qu'un bourgeois de Moyrazès se fait traiter de coureur de bergères à la sortie de la messe de paroisse, par une harpie du village.
Et puis, au travers des chicanes portées devant les justices locales, on remarque que certains de leurs employeurs ne manquent pas de retenir leur maigre paye au motif qu'elles ont mal surveillé le troupeau, et qu'un agneau a péri, ou bien que le loup a dévoré quelque brebis.
Ces fillettes, d'ailleurs, ne voient rien, bien souvent, du pauvre salaire qu'elles gagnent, ne serait-ce que parce qu'il sert à éponger un emprunt que leur père, poussé par le besoin, a contracté auparavant auprès du paysan aisé qui les emploie. Peut-être leur revient-il cependant les à-côtés de leurs gages : une paire de bas, une paire de sabots, quelques pans de toile pour faire une chemise... lorsque ces avantages en nature, bien qu'expressément convenus, sont réellement versés, ce qui n'est pas toujours le cas.
Au temps des rois, quel pouvait être le destin d'une personne dont l'entrée dans la vie active se faisait en allant servir chez les autres ?
Certaines domestiques, attachées de longues années à une même et bonne maison, paraissent s'y intégrer totalement. On a cité ci-devant des cas où les servantes deviennent les marraines des enfants dans la famille qui les emploie, par exemple aux Peyronies ou encore à la Mothe.
On en voit d'autres trépasser très âgées chez ceux qu'elles ont servi, et qui les ont gardées auprès d'eux jusqu'à leurs derniers jours, comme on l'aurait fait pour une personne de la parenté. En janvier 1769 par exemple, est ensevelie à Lespinassole Françoise Malier, fille... âgée de quatre vingt six ans, pour lors servante du sieur Joucaviel, marchand du Pont-de-Cirou en Rouergue...
La confiance entre une domestique et la maison qui l'a – et qu'elle a –"adoptée" se sent à d'autres indices : on en trouve, célibataires et sans enfants, qui cèdent ce qu'elles possèdent à un membre de la famille où elles ont pris racine. Ainsi fait Anthoinette Trébosque, née à la CarrayrieBasse paroisse de Quins, servante pendant de très longues années chez les Gayraud, à Buffan même paroisse. Moyennant une petite pension en nature et en argent, elle fait en 1693 donation entre vifs de tous ses biens à Me Jean Gayraud, prêtre de Quins issu de cette famille. L'affaire est venue jusqu'à nous parce qu'elle a été plaidée, car les confesseurs ou les membres de professions de santé n'ont pas le droit de recevoir de telles donations de la part de leurs "clientes". Le neveu d'Anthoinette réclame donc l'annulation de ce legs puisque Me Gayraud est prêtre. Celui-ci indique pour sa défense que, bien que membre de l'Eglise, il ne fut jamais le confesseur de cette servante. L'affaire va se terminer, comme il se doit, par une transaction.
Quelques EXEMPLES montrent cependant que cet attachement à une maison n'est pas toujours apprécié par la famille, au sens élargi. En 1667 à Moyrazès, un notaire du lieu doit faire face à une chicane pour avoir fait mettre en terre sa chambrière, décédée, dans la tombe réservée à la famille. Car une partie de la parentèle ne veut pas de ce corps étranger et demande donc qu'il soit déterré. Les choses ne vont rester en l'état que parce que l'exhumation aurait posé des problèmes de puanteur.
Bien illustrative est aussi la chicane qui naît après le décès de Me Jean-Laurens Savy, prêtre des Tavernes paroisse de Camboulazet. Cet ecclésiastique tient, vers 1750, le patrimoine des Savy, importante famille de ce lieu. Il a pour servante Marie Lacombe, née à Sabin paroisse de Salan, qui a sans doute pris grand soin de lui, car dans un temps où la disette est endémique ce prêtre est rond comme une barrique. Marie Lacombe ne va pas être oubliée par Me Jean Laurens Savy, dans son testament du 27 mai 1755 : elle doit jouir d'un jardin et d'une grange dans laquelle on luy fera faire une cheminée, recevoir annuellement quatre sestiès seigle mesure de Rodès ainsi qu'une charretée de fumier de brebis pour son jardin et six charretées de bois qui ne sera pas de châtaignier pour son feu, et encore profiter d'un pommier à son choix, etc... Mais lorsque décède Me Jean-Laurens Savy, vers 1760, sa soeur Marthe Savy, épouse Enjalran , héritière fiduciaire, ne l'entend pas de cette oreille. La chicane s'installe. Marthe Savy-Enjalran conteste des arriérés de gages. Elle reproche à cette servante des fautes de gestion comme de n'avoir pas surveillé un matelas rangé dans une remise et qui a été volé. Elle soupçonne des larcins : pourquoi, par exemple, alors que ce prêtre était agonisant, la servante a-t-elle pris l'initiative de rapiécer ses culottes, qu'il rangeait sous son traversin ? Ne serait-ce pas pour dérober les pièces qui se trouvaient dans ses poches ? Elle s'appuie sur l'opposition des voisins qui ne veulent pas que soit aménagée une cheminée dans la grange prévue pour Marie Lacombe, à cause du risque d'incendie. Etc, etc... On va plaider. Des curés, dont celui de Salan, servent d'intermédiaires, et cela se termine par un compromis.
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » dim. 21 juil. 2013 05:53:01
Lorsqu'elle a servi dans une bonne maison, le maître (ou la maîtresse) facilite parfois son hymen en arrondissant la dot. Ainsi, en avril 1668, quand Jeanne Mouysset, de Rancillac paroisse de Frons, se marie avec Pierre Alric, Mr Me Pierre Douziech, docteur et advocat en Parlement, habitant la ville d'Alby (basé aussi à la Grèze, paroisse de Saint-Martial)... pour les bons et agréables services, et diverses considérations, qu'il a reçus de lad. Moyssette... lui donne septante neuf livres... et oultre ce... deux cestiès seigle, quatre brebis avec quatre agneaux et une robe cadis de Roudès, noire...
Et en février 1696, lorsque Marie Andrieu, femme de chambre de Françoise de Vigouroux, seigneuresse de Villelongue, s'apprête à convoler, sa maîtresse lui donne trente livres, plus quelques dotalisses : linceuls, serviettes et pièces de vaisselle en étain.
Et surtout, très souvent, les filles qui ont été servantes se constituent de leur chef tout ou partie de leur dot. A Rancillac paroisse de Frons, l'apport de Jeanne Mouysset citée ci-dessus est notamment fait d'une créance de 40 livres, car elle a travaillé pendant deux ans dans une ferme de Frayssinhes où ses gages n'ont pas encore été payés. C'est donc un dû que le futur mari devra s'employer à récupérer. Et à la Capunie paroisse de Carcenac, lorsque Laurens Frayssinet épouse en 1676 Madeleine Malgouyres, du Navech paroisse de Camjac, celle ci se constitue quarante livres qu'elle a dict avoir devers elle en argent ou debtes, provenant des salaires qu'elle a gagnés en servant ses maîtres, et outre cela, une brebis, un agneau, une bassive (=jeune brebis), deux linseuls. Les cas de cette sorte sont très nombreux.
Les ans ont passé et créé d'autres valeurs, depuis le temps des rois. Mais à distance, n'y a-t-il pas quelque chose d'attendrissant à imaginer une jeune fille se présentant devant son futur époux et lui remettant, le jour des nopces, les quelques sous qu'elle a gagnés par son industrie au service de ses maîtres ? On la présume légitimement fière de ce qu'elle a pu amasser, avec un mélange de peine, de courage, d'opiniâtreté... et peut-être de rêve, tendu vers l'espoir de cette famille dont elle sera la mamma.
Et autour d'un incident traité en 1747 par la justice de Moyrazès : une servante dépouillée par un vol, ne peut-on pas imaginer ou apercevoir un certain halo d'émotion ? Cela se passe à la Griffoulière (=Griffoulet, Greffuel?),
paroisse de Moyrazès. Catherine Gaillard y est servante. Elle a mis ses économies dans une bourse. Elle a demandé à un valet de la ferme où ils sont employés tous les deux, de garder cette bourse dans un coffre qu'il a dans la chambre des domestiques et qu'il ferme à clef. Or ce valet est envoyé par ses maîtres faire les vendanges à Bruéjouls. Et lorsqu'il revient, le coffre a été enfoncé, et l'argent a disparu... Si, pour Catherine, ce petit magot avait pour objet de faire d'elle une épouse attrayante et fière d'elle, un jour, aux yeux de l'homme de sa vie, au-delà de la simple perte matérielle, une part de ses rêves ne s'est-elle pas aussi envolée, lors de ce larcin ?
- Chapitre XIII -
DES ENFANTS SEULEMENT NATURELS, PARFOIS.
Au château du Bosc paroisse de Camjac, Barthélémy Molinier, notaire à Calmont-de-Plancatge, vient enregistrer un compromis ce 14 octobre 1650. Plusieurs personnes socialement au dessus du lot, comme noble Alexandre de Faramond, sieur de la Calmette, noble Jean de Vernhes, sieur de Brin, et Pierre Lacombe, important bourgeois de Carcenac-Peyralès... sont près de lui à cette occasion. L'affaire n'est pourtant pas grandiose, puisqu'il s'agit seulement de prendre la défense d'une jeune fille, mineure, à qui on a ravi son honneur et qui s'est retrouvée grosse. Elle s'appelle Jeanne. Elle n'est en rien de haute naissance : ses parents sont des manants d'un hameau proche, de la paroisse de Salan. La présence de ces sieurs, ce jour-là, serait-elle teintée de chevaleresque ? Etait-ce un devoir moral, alors, pour ces Rouergats de qualité que de soutenir une malheureuse voulant faire valoir son droit ? Peut-être...
Car celui dont les oeuvres ont fait de Jeanne une mère, un Anthoine F., de Puech d'Oulhas paroisse de Teillet, n'a pas tenu parole. En avril 1648, lors d'un précédent compromis, il était convenu qu'il donnerait à Jeanne en réparation de son honneur.. soixante livres... deux brebis avec deux agneaux... deux linseuls de toile de pays... une robe cadis bleu de Roudès garnie et faicte...
Or ce dédommagement, elle l'attend encore ! Menacé de poursuites en justice plus graves, Anthoine a dû se rendre avec son père au château du Bosc pour un nouvel accord, où, autour du notaire, ces sieurs prêtent appui à Jeanne. Ce second arrangement sera plus sévère que le précédent : Anthoine devra débourser 120 livres.
Un an et demi plus tard, c'est Pierre d'Imbert lui-même, seigneur du Bosc, qui apparaît dans cette affaire. Car une nouvelle fois Anthoine s'est mis en retard pour payer. Les 120 livres convenues sont enfin portées au château le 2 avril 1652, et reçues par M. du Bosc qui en donne quittance au nom de la jeune fille, celle-ci ne pouvant le faire de façon valable car elle a moins de 25 ans. On apprend incidemment, dans ce nouvel acte du notaire, que malgré cette mésaventure Jeanne a trouvé un fiancé qui doit prochainement l'épouser. Il habite au Bosc. D'une certaine façon, Jeanne est réinstallée dans la norme sociale de l'époque.
Lorsque le séducteur est identifié, dans ces affaires de gravidation, la fille-mère reçoit ordinairement de lui une indemnité, obtenue soit par voie de justice, soit par le biais de compromis souvent appelés accords pour défloration. Ainsi à Pruns paroisse de Camboulazet, tout comme au Bosc pour l'affaire ci-dessus, Marie R. ayant esté rendue enceinte des oeuvres de Jean V du village de l'Hom... et demanderesse en réparation d'honneur, despens, domages et inthérests... transige en janvier 1635 avec son séducteur. Elle reçoit la somme de trente livres, une robe cadis bleu de Rodez, deux cestiés blé seigle.
Au-delà de l'indemnité compensant l'honneur perdu d'une fille, l'enfant est une charge, lorsqu'il paraît. A Naucelle, en 1773, Marianne D., qui fut servante chez le notaire Me Merlin, se présente chez un autre notaire de la place, Me Bos, pour faire enregistrer un billet sous seing privé la concernant, et qu'elle a peur de perdre. La teneur de ce billet montre que le géniteur, s'il reste masqué, ne fuit pas devant ses devoirs financiers. Car Me Merlin a écrit : ...je soussigné, faisant pour l'auteur de la grossesse de Marianne D. de Naucelle, promet et m'oblige de faire nourrir et entretenir l'enfant qu'elle faira à mes fraix et dépens, à l'exclusion des quatre premiers mois qu'elle sera tenue de le nourrir, luy ayant remis de l'argent suffisant pour cella, de même que pour les dommages de la part de l'auteur de la grossesse. Pour raison de quoy luy ay remis la somme de deux cens livres, de laquelle somme lad. D., comme contente, en tient quitte tant l'auteur de sa grossesse que moy, soussigné... Merlin.
Au temps des rois, les règles du droit sont claires : l'obligation en laquelle sont un père et une mère de nourrir leurs enfants comprend même ceux qui sont nés d'unions illicites. Lorsqu'une fille ou une veuve, est grosse des faits d'un homme... cet homme, s'il en convient ou s'il en est convaincu, doit être condamné à se charger de l'enfant...
Un CAS peut montrer que la responsabilité financière du géniteur déborde le cas des naissances illégitimes : au moulin de Verdun paroisse de Quins, le meunier Jean Caulet s'est marié deux fois. Il meurt. Son héritier est un fils du premier lit : Pierre Caulet. La seconde épouse de Jean Caulet, Catherine Moyssette, veuve, retrouve par la suite un mari et emmène avec elle dans son nouveau ménage l'oisillon de second lit qu'elle a eu de Jean Caulet. Mais ce second mari de Catherine, Gabriel Muratet, de Fabrègues paroisse de Villelongue, ne va pas manquer de demander en 1679 à Pierre Caulet le nécessaire pour nourrir celui-ci, au motif qu'il est héritier du père de l'enfant. Il obtient 10 setiers de seigle. On obéit donc simplement à l'adage : que dona a naisse, dona a paisse (qui donne à naître, donne pitance).
Prendre en charge l'enfant en le retirant à sa mère est chose assez surprenante pour une sensibilité d'à présent. Une telle disposition semble pourtant loin d'être rare, la séparation mère-enfant étant même parfois prévue avant la fin normale de l'allaitement. La servante du notaire Merlin, à Naucelle, serait ainsi séparée de son bébé au bout de quatre mois, d'après la teneur du billet ci-dessus. Et dans le cas de cette Jeanne, au Bosc, évoqué tout au début, le compromis originel entre elle et son séducteur indiquait qu'après la naissance de la créature qu'elle portoit dans son ventre, led. E seroit tenu de la prendre et la faire nourrir.
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » ven. 26 juil. 2013 06:16:07
A Calmont en 1717, Jean P. et Marie M., de Millac, transigeant sur les férens qu'ils ont ensemble en raison de la gravidation commise par led. P en la personne de lad. M, conviennent que lad. B. sera tenue nourrir l'enfant pendant deux ans à compter du jour de ses accouches, moyennant 50 livres, au bout desquels deux ans led. P sera tenu de prendre led. enfant et de le faire nourrir à ses frais et despens.
A Naucelle vers 1686, deux jeunes des faubourgs de cette bourgade ont fait ensemble "autre chose que de dire le chapelet", autrement dit des polissonneries. L'enfant paraît. Les deux familles, les C. et les B., appréhendant que la longueur des procès pourroit causer la ruyne des parties, transigent, à raison de la grossesse commise par led C. fils en la personne de Françoise B. Le garçon et la fille ne se déplaisent pas, puisque le fils C. a promis à Françoise de l'épouser. Mais le père C. ne veut pas de cette belle-fille dans sa maison. Il interdit le mariage, son fils étant mineur et sa promesse sans valeur puisqu'il est soubs la puissance paternelle. La transaction nous apprend que la jeune fille va recevoir une indemnité, en réparation de son honneur ou en compensation des frais déjà engagés pour la prime enfance de son petit, mais aussi que lesd. C. père et fils se chargent, comme promettent, de l'enfant procréé par lad. B. des oeuvres dud. C., pour icelluy nourrir et entretenir à l'advenir.
Outre le séducteur lui-même, sa famille s'engage, parfois. Ainsi à Sainte-Juliette en 1635, Cécile B. enceinte de Louis G., maçon de ce lieu parti travailler en Languedoc, obtient des frères de celui-ci, restés au pays, qu'ils se portent garants de son indemnité : ...septante livres... et une robe cadis de coleur violette faicte et garnie, et deux aignelles.
L'attitude du bourgeois ruthénois Raymond d'Austry est également éclairante. L'un de ses frères, transportant des fonds pour le compte d'un marchand lyonnais, est assassiné le 29 octobre 1577 près de Millau par des voleurs de grand chemin. Mais auparavant, à Lyon, où sans doute il était en résidence pour se perfectionner dans son métier de marchand, il avait par testament nommé son frère Raymond parmi ses héritiers. Celui-ci note dans son Livre de raison : ...et ay prins à norrir le bastard de feu mond. frère que eut aud. Lion de Claudine Boisselet le 18 décembre 1577... babtisé à l'églyse St Laurens de Lion. Fut son parrain le Sr Amans Foucras, notre cousin...
Il arrive même que la famille se sente plus impliquée que le géniteur lui-même. Amans G., de Laporte paroisse de Quins, a-t-il un père par trop fine braguette ? Il en corrige les errements. Car Marguerite M., de Roques paroisse de Naucelle, a fait une déclaration de grossesse illégitime devant le juge de Jalenques, attribuant son état aux oeuvres du père d'Amans. Se retrouvant au moulin de Jalenques, en 1763, Marguerite et Amans transigent devant Me Valette, notaire. Le fils a pris les choses en mains, voulant éviter les suites d'un procès, et sans l'agrément ny consentement... de son père d'icy absent, il promet à Marianne une indemnité de trente trois livres ; et Marianne s'oblige d'allaiter, nourrir et entretenir l'enfant qui naîtra de sa grossesse pendant environ quinze jours, et après led. Amans G. s'oblige de le prendre et entretenir à ses frais et dépens...
Il est aussi des CAS où on fait appel à des pères de remplacement... et parfois par la ruse.
A Camjac le 17 mars 1750, un tailleur de la Réginie, accompagné de son épouse Marie M., se présente devant le curé pour déclarer que l'enfant baptisé... le 4 mars sous le nom de Jean n'est pas son fils et qu'il ne le reconnaît point pour légitime, attendu qu'il n'est marié avec lad. Marie M que depuis le neuvième jour du mois d"octobre, et qu'avant son mariage, il n'avoit eu aucun commerce avec lad. Marie M, mais que lad. Marie M avoit conçu led. enfant dans la maison de M, de Brucastel paroisse de Frons, où elle restoit pour servante avant la St Jean dernière, à quoi lad. Marie M. a acquiescé...
A la Cazotie paroisse de Quins, Me Teulier, notaire de Sauveterre vient le 22 avril 1706 rédiger un contrat de mariage. La future mariée est la belle-soeur d'un pagès du lieu, et la nièce d'un prêtre, présent ce jour-là. Elle s'appelle Marie. Elle va épouser un garçon prénommé Amans, de la Sandralie même paroisse. Le mariage est solempnisé ... le quinzième juin. Oui mais... peu après, grosse colère du père du marié ! est arrivé que lad. Marie s'est trouvée enceinte et preste à accoucher des oeuvres d'un homme incogneu, en telle sorte que led Amans... estoit prest à entrer en procès pour faire dissoudre le mariage. Le 25 août, Me Teulier rédige l'arrangement intervenu : les parties, pour vivre en paix et amitié, conviennent qu'Amans gardera sa femme auprès de lui à la Sandralie, mais que son beau-frère de la Cazotie lui versera la somme de cens livres et quinze cestiés de bled seigle, beau net et marchant, comme contrepartie de la faculté donnée à la mère de nourrir au sein l'enfant à naître pendant un an seulement. Passé ce délai, le pagès de la Cazotie sera tenu de prendre et entretenir led. enfant... attendeu qu'il est notoire que led. enfant ne peut pas estre des oeuvres dud Amans... ny ayant que deux mois et dix jours depuis la solemnisation dud. mariage.
Certaines situations font soupçonner que, parfois, enfants légitimes et enfants naturels reconnus ont, ensuite, une enfance proche, mêlée, voire commune. Le 15 juin 1675 à Naucelle, Françoise Faramonde, fille... (le mot naturelle a même été barré par le curé sur le registre paroissial), épouse François Combes. A-t-elle quelque rapport avec les Faramond, du château de Paulétou ? Probablement... Or la famille légitime a certainement acceptée cette bâtarde, puisqu'à son mariage assistent noble Alexandre de Faramond, noble Jean Philibert de Pharamond... noble René de Faramond, etc... Les choses sont encore plus claires en 1593 dans le testament d'Anthoine Boyé, maître chapelier à Sauveterre. Il donne et lègue... à Jehan Boyé, son fils bastard, la somme de dix escus... payable par son héritier universel (un fils légitime), lors et en temps qu'il sera en âge pour estre mis à mestier, ou bien à ce qu'il sera en âge de dix huict ans. Il ordonne en sus que ses héritiers légitimes l'ayent à nourrir et entretenir en la présente maison, tenu, vestu et chaussé selon sa qualité... mais sond. fils bastard doit travailler es bien de lad. hérédité, de son pouvoir; et aussi hobéir aux commandements de sesd. héritiers...
A Rodez en 1632, Jean Boissière, cordonnier, fils naturel de noble Hugues de Boissière... et de Anthoinette Besombes, ses père et mère, épouse honneste fille Anthoinette Olivière. Ce fils illégitime du seigneur de CarcenacPeyralès, que d'ailleurs à Rodez on appelle plutôt "Carcenac", a donc été mis à mestier, mais il est de surcroît installé professionnellement par son père qui lui donne la jouissance d'une boutique qu'il a assize en la place du bourg de Roudez et au dessoulz sa maison.
On se doit, enfin, de citer le cas du cardinal d'Armagnac, évêque de Rodez de 1530 à 1560, mariant et dotant sa fille illlégitime : "...Mgr de Carsalade du Pont semble avoir établi définitivement qu'il (=le cardinal) eut une fille, cette Fleurette qui épouse en 1565 Blaise de Villemur, en faveur duquel le cardinal se dépouilla de son bien patrimonial de Caussade."
Comme on le voit, les pères furent loin, quelquefois, de se désintéresser de leurs enfants naturels. Un CAS peut montrer que même en cas de dérapage, une famille de haut niveau ne lâche pas entièrement un enfant illégitime. Ainsi, le 5 mai 1770, après son arrestation en Languedoc, on interroge un mendiant. Il s'appelle Joseph Buisson. Il dit être bâtard de Bournazel. Il l'est en effet. Mais, indique la famille, c'est un très mauvais sujet qu'on n'a jamais su contenir dans les bornes de la bienséance. On a été obligé de l'abandonner à son malheureux sort.... Quant à son destin futur, si le dit Joseph Buisson veut passer dans les Iles, M de Bournazel lui faira remettre à Bordeaux le jour de son embarquement une certaine somme pour son passage. Le compte-rendu ajoute : j'ai fait part à ce mendiant qui a accepté cette offre. En fait, Joseph Buisson décède le 14 juin à l'Hôtel-Dieu de Montpellier .
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » mar. 30 juil. 2013 04:34:42
Mais si certains enfants naturels ont bénéficié d'un soutien, cela doit-il masquer la situation la plus générale, où le destin d'une fille mère et de son enfant est fort douloureux ? Le pouvoir civil et le pouvoir religieux ont agi de concert pour dicter une attitude sociale dure. Le bâtard est intrinsèquement impur, il est le fils du crime... Car les relations sexuelles en dehors du mariage sont clairement qualifiées de crime aux temps d'Ancien Régime. Pour l'anecdote, citons une dispute entre voisins, dans un hameau proche de Lax, où un habitant de ce lieu, pour charger sa voisine avec qui il a chicane, accuse celle-ci de lui avoir proposé de commettre le crime... pendant que son mari était parti faire les moissons en Gévaudan.
Cette attitude dure, cependant, ne semble pas avoir été homogène tout au long de l'Ancien Régime. Au temps de la Renaissance, permissivité, ou au moins compréhension, semblent de mise. Evoquant sa fille naturelle, ses biographes disent du cardinal d'Armagnac, figure emblématique : "...i répara cette faiblesse passagère par une vie digne et vraiment ecclésiastique, et les huguenots même, qu'il combattit si vivement, ne trouvèrent rien à relever dans ses moeurs". Car c'est bien à la suite des contestations huguenotes que le concile de Trente, restaurant la discipline vers le milieu du XVI' siècle, va sinon changer, du moins affermir la résolution de l'Eglise vis-à-vis des naissances hors mariage. Une disposition bien typique de ce concile est de n'admettre désormais aux ordres sacrés que les seuls enfants légitimes : jusque là, en effet, certains ecclésiastiques engageaient leurs bâtards dans la prêtrise et les installaient, à leur suite, dans le poste d'Eglise qu'ils occupaient. C'est également vers le milieu du XVI' siècle que, paral lèlement à l'évolution de l'Eglise, le pouvoir royal va renforcer, par divers édits ou ordonnances, la répression des relations non maritales.
Les préambules de certains textes méritent d'être lus, tant ils sont remarquables pour situer l'esprit du temps. On pourra par exemple trouver en "commentaires" page , l'Edit du Roi Henri II qui prononce la peine de mort contre les filles qui, ayant caché leur grossesse et leur accouchement, laissent périr leurs enfans sans recevoir le baptême (1556). La publicité de cet édit est relancée au XVIII' siècle, les curés attestant qu'ils ont fait ce qui se doit, comme Me Amat, à Carcenac-Peyralès, qui écrit : ... nous, curé de Carcenac-Peyralès, soubsigné, certifions à tous ceux qu'il appartiendra que l'Edit du Roy Henry second concernant les femmes qui cachent leur grossesse et leur accouchement, a été publié au prône de la messe de paroisse dans notre église dud. Carcenac tous les trois mois, durant l'année mil sept cens cinquante six.
Au Siècle des lumières, l'opprobre pour les relations extra-conjugales et leurs fruits, se perçoit au travers des mots que les curés de nos paroisses utilisent dans leurs registres. Celui de Lespinassole, écrit par exemple : le cinquième du mois d'octobre 1784, est né Antoine, fils illégitime de Marie O., concubine publique et scandaleuse de Jean E., veuf du village de La Roque, paroisse d'Espinassole. Celui de Boussac n'est pas en reste, si l'on se fie à ce qu'il écrit à l'occasion du mariage de Gabriel C., de Courbenac, avec Marie-Jeanne M. du même village, en 1785:... le susdit Gabriel C. nous a confessé devant témoins que les deux filles qu'il a eues de la susd. Jeanne M d'un commerce infâme et illégitime (sont) siennes...,
Ce dur rejet des naissances illégitimes n'a disparu que récemment. Un médecin du XIX' écrit encore : "...la prostitution ne s'exerce guère ouvertement dans nos campagnes ; elle y est d'ailleurs assez rare. La plupart des filles mères ne sont coupables que d'un excès de crédulité... Mais la paysanne séduite, abandonnée par son amant, est considérée comme une personne méprisable. Loin d'être secourue, elle est abandonnée de tous, obligée de s'expatrier et d'aller porter au loin le fruit de sa grossesse. Elle n'a d'autres perspectives que celle de la misère, pour elle et pour son enfant."
Le plus douloureux est peut-être le sort des nouveaux-nés abandonnés. L'historien Michel Voyelle note que les enfants illégitimes ou abandonnés, recueillis dans les Hôtels-Dieu ou placés en nourrice font l'objet d'un vrai "massacre". Un sur dix survit à 20 ans, dit-il. Et ce n'est certainement pas la consultation des registres paroissiaux du XVIIIe siècle, en Ségala, qui pourrait amener à le contredire. On est effrayé, souvent, par le nombre d'inhumations de petits corps dits bâtard de l'hôpital de Rodez – ou d'Albi –qui estoit à la nourrice chez X, dans les paroisses d'ici. Ces bébés-là meurent vraiment facilement, se dit-on !
Quel poids "statistique" accorder aux naissances illégitimes, au coeur du Ségala Rouergat, au temps des rois ? Notons tout d'abord que pour le début de l'Ancien Régime, le XVI' siècle, les sources, pratiquement muettes, ne permettent pas la moindre quantification.
Au XVII' et surtout au XVIII' siècle, les naissances d'enfants naturels sont un peu mieux repérables, sans que tout soit limpide cependant. Car si les curés signalent l'illégitimité d'une naissance lorsqu'ils baptisent un nouveau-né, le nombre de baptêmes de cette sorte ne peut guère être rapproché des autres de la paroisse, car les filles vont parfois accoucher loin de chez elles. A Camjac le curé écrit par exemple : le dernier jour du mois d'août 1658, ay baptisé un garçon né au village de la Grèze d'une certaine fille réfugiée chez P dud. village, qui s'appelle Marguerite D., d'Auriac paroisse de Durenque, qu'a dit avoir conçu des oeuvres d'un nommé Gabriel J., paroisse de Durenque.
A Quins, l'an mil sept cens neuf et le 28 jour du mois de may, est né Jean M, bastard, fils de Pierre M du lieu de Pradinas et à Marie C. du lieu de Castanet, a esté baptisé le même jour en l'église de Quins.
A Démiès, paroisse de Salan, l'an 1779 et le 20e jour du mois de mai... est baptisé un enfant dont le père est inconnu, que Jean Chirac, du village de Démiès a dit être né aujourd'hui dans sa maison, d'une fille de la paroisse de Crespin, et que demeuroit il y a peu de temps dans la paroisse de Naucelle en qualité de servante...
Vers la fin du XVIII' siècle à Rodez, le nombre d'enfants que l'on baptise après qu'ils aient été abandonnés à la porte de l'hôpital Sainte-Marthe impressionne quelque peu. Il y en a 57 en 1780, 63 en 1781, 27 en 1782, 60 en 1783, 45 en 1784, 58 en 1785, 75 en 1786, etc...
Mais le diocèse compte plus de 400 paroisses pour "fournir" cet établissement, et de plus on n'est pas assuré que tous ces enfants soient des bâtards.
Toutefois, les naissances d'enfants naturels se faisant pour la plupart au domicile normal de leur mère, on n'est pas dans un flou total. Indiquons par exemple qu'à Salan sur 25 ans, de 1746 à 1770, il y a 3 enfants illégitimes sur 309 baptisés. Dans la même période à Camjac, il y en a 8 parmi les 327 baptisés. Les historiens qui ont analysé d'autres coins de France avancent des résultats de comptages du même ordre : les naissances illégitimes ont représenté entre 1 à 3 % des naissances totales, selon les lieux et les époques.
Et qu'ont pesé les avortements ou les infanticides ? On ne sait... Seuls quelques cas ont laissé une trace. Ainsi à Naucelle en 1744, une sentence de la justice locale – conforme à l'édit d'Henri II évoqué ci-dessus – dit à propos de Marguerite M. : ...pour réparation du crime par elle comis pour avoir cellé (=caché) sa grossesse et s'être accouchée secrètement d'un enfant, et pour avoir aussi secrètement enterré led. enfant, condamnons lad. M, accusée, à estre pendue et étranglée, jusqu'à ce que mort s'ensuive, à une potence qui sera à cet effet dressée dans le foirail bas dud. Naucelle. Apparemment, cette jeune fille a fui, car il est dit que sera la présente sentence exécutée en effigie, en un tableau qui sera attaché à lad. potence par l'exécuteur de la haute justice.
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » sam. 03 août 2013 05:49:53
La naissance d'un enfant naturel ne débouche pas toujours sur du tragique, heureusement !
Et tout d'abord, il arrive assez souvent qu'une naissance hors mariage soit évitée de justesse. Ainsi à Naucelle Marie-Anne Moly, fille de Joseph Moly, marchand, épouse-t-elle le 6 septembre 1751 Pierre Maurel, fils du forgeron des fauxbourgs et forgeron lui-même. Mais sans doute ont-ils vendemiat davan las cridas (=vendangé avant les bans) comme on dit ici, car dès le 5 octobre leur naît un enfant appelé Pierre-Jean, ce deuxième prénom s'expliquant sans doute par celui de son parrain, Jean Cuq, maçon de Naucelle. Cette situation touche également des personnes fort distinguées de cette bourgade, puisque noble Jacques de Vernhes, habitant la Souque, et demoiselle Cécile Merlin se marient, apparemment, en février 1755 ; or un enfant paraît le 2 mars de la même année. Quelquefois le mariage a pu être retardé à cause de délais de viduité, comme semble l'indiquer cet avis de baptême du curé de Camjac en 1750 : Catherine M., fille illégitime de M comme il l'a dit lui-même, et de Marthe E., veuve d'Anthoine D., fiancez ensemble, tous les deux du village de Resselves, a été baptisée le quatorze octobre mil sept cens cinquante.
Un enfant illégitime peut aussi redevenir légitime par décision du prince – un cas que nous n'avons jamais rencontré ici – ou par un mariage de ses parents, postérieur à sa naissance, avec cependant des conditions : ...pour que les enfants nés avant le mariage soient capables d'être légitimés par le mariage de leurs parents, il faut que lors de l'habitude charnelle que leurs père et mère ont eu ensemble, ils aient été capables de contracter mariage ensemble. Et si le père, notamment, était marié au moment de la conception de l'enfant, la légitimation sera impossible par un mariage de cet homme, devenu veuf.
Ces légitimations par des épousailles ultérieures ne sont pas très rares. A Salan le 22 juin 1740, le curé donne ainsi la bénédiction nuptiale à Guilhaume B., du village du Clot paroisse de Quins, et Marie B., habitante de la Viale paroisse de Salan, aïant amené avec eux une fille qu'ils ont déclaré avoir malheureusement engendré avant le contrat de mariage, et cella affin qu'elle puisse succéder à leurs biens quand il en sera besoin.
A Crespin en 1712, le curé donne quelques détails sur la cérémonie accompagnant une telle légitimation : ...Louis C., bourgeois du lieu de Bourgnounac en Albigeois... et Jeanne C. du lieu de Crespin, ont espousé dans l'église dud. Crespin le 26''' janvier 1712, ayant reçu la bénédiction nuptiale sous le voile conjoinctement avec autre Louis C., que led. Louis C. a déclaré devant nous entre son propre enfant, et consanti qu'il soit légitimé comme notre mère Ste Eglise le veut au moyen de cette cérémonie... led. Louis C. fils ayant esté baptisé le 10 de l'an 1711 par Me Caussanel, vicaire de Castanet...
Ces légitimations par mariage sont plus ou moins tardives, comme le montre en 1754, le CAS de François Flottes, fils de Jacques Flottes, marchand de Vors, âgé d'environ 40 ans, épousant Jeanne Rey, âgée aussi d'environ 40 ans, fille d'un menuisier de la paroisse de Sainte-Juliette. Le curé indique : ...leur avons donné la bénédiction nuptiale ayant entre eux deux une fille nommée Marianne qu'ils avoient ci-devant eu d'un commerce illégitime et qu'ils ont reconnu par cette cérémonie comme légitime, lad. Marianne figée de six ans...
A certains indices, par exemple le nombre de celles qui sont dites servantes parmi les filles mères, et donc soumises à la puissance d'un maître, ou encore avec les mentions de viols par des soldats de passage... on peut penser qu'une part notable des naissances illégitimes viennent de filles forcées. Et nombre d'autres, si l'on croit ce qu'elles déclarent à tel ou tel juge, semblent avoir été trompées : elles ont cédé parce que le garçon leur avait promis le mariage.
C'est pas une ang' la Mariette
Qui ne dit qu'aux riches bonjour..
C'est une monstre, une diablette,
Qui tient des riches ses atours....
Not' seigneur lui fait l'amusette
Il s'y prend comme un grand pandour...
Paul FORT
Mais il est des cas où on soupçonne un vrai consentement, notamment lorsque le géniteur est riche et puissant. Car nos seigneurs furent clairement polygames. Il n'est par une famille de la bonne noblesse d'ici qui n'ait son cortège de bâtards. L'historienne Claude Grimmer écrit :
"...les hommes issus des familles les plus puissantes et les plus anciennes s'affirment dans leurs aventures galantes... La proie la plus facile est la servante, la femme de chambre, la cuisinière ou la portière. Mais le seigneur aime aussi conquérir les paysannes de sa seigneurie. Lorsqu'un jeune seigneur tente d'abuser d'une femme... elle résiste d'abord, puis songeant alors à sa bonne mine, à sa qualité et aux bienfaits qu'elle peut recevoir de sa part, elle se résout à ne luy point être rigoureuse.-
Le futur cardinal d'Armagnac a-t-il eu beaucoup de difficultés pour trouver une personne avec qui procréer une petite Fleurette ? Même question pour Jean V d'Arpajon qui, abandonnant la jouissance du château de Sévérac à son fils après le mariage de celui-ci en 1622, s'est retiré à Calmont-de-Plancatge ? Conséquence d'une (ou de plusieurs) liaisons champêtres, il laisse trois enfants naturels, évoqués dans son testament en 1634: il lègue "2000 livres à Jean d'Arpajon, son fils naturel de présent aux Gardes du Roi ; 1500 livres à chacune de ses deux filles naturelles : Jeanne et Marie d'Arpajon, nourries au village de la Barthe."
De surcroît, lorsque l'on constate qu'une liaison est fort durable, qu'elle produit plusieurs enfants, comme celle au XVII' siècle de Marie Blanque et de François Boyer de la Boyrie, seigneur du Fraysse de Boussac, il est peu probable que la chose n'ait pas été parfaitement acceptée par la femme. Et dans le cas de ce seigneur, le contrat de mariage de l'un de ses bâtards, au château du Fraysse en 1655, montre que ses fils et filles naturels sont une part essentielle de son environnement familial.
D'ailleurs, pour se comporter de la sorte, les gens d'ici n'avaient-ils pas de bons exemples, avec certains rois de France ?
- Chapitre XIV -
DE-CI, DE-LÀ, DES FILLES D'ÉVE QUELQUE PEU DISSOLUES.
Y eut-il, naguère, des filles ardentes en Ségala rouergat ?
Les demoiselles de ce temps
Ont depuis peu beaucoup d'amants ;
On dit qu'il n'en manque à personne,
L'année est bonne.(')
VOITURE
Vous en doutez ? nous a dit un certain maître. Eh bien, fréquentez les écrivains ! Leurs oeuvres sont un reflet des âmes et des temps. Est-il envisageable de ne pas obéir à une injonction de cette sorte ?
Aussi, avec en mémoire Carmen pour les Espagnoles, lady Chatterley parmi les Anglaises... comment ne pas remarquer, en Rouergue, cette Segalino dans "lou Libre del Causse ", qui d'en deça de la Primaube vient comme belle-fille dans un domaine du Sévéraguais ? Cette héroïne, c'est de la braise ! Elle doit épouser un Escoudournac, un pagès du Causse. Celui-ci, comme cela se fait, va rendre visite en Ségala à la maison de sa fiancée. Et l'un et l'autre sont alors fous de désir :
...Escoudournac... anèt bistalha... la pieùceleto bandabo un casabè qu'aurio pouscut derebelha un sant home de mounge entarrat dempièi tres ou quatre cents ans... Uno pichoto crous d'or pindoulabo, aqui, sul casabè... entre Tous dous... que se debinhabou... Abioù ibejo l'un de l'autre ; une ibejo que lur cramabou lo sang...
Amai... la troubet, lou ser de la noço, et cado ser en se jaguen, et lou mati, et cado nuèch.
Escoudournac alla faire visite à la maison de sa future... la petite pucelle bandait un corsage à réveiller un moine confit en sainteté et enterré depuis trois ou quatre siècles... une petite croix d'or pendait, là, sur le corsage, entre les deux... qui se devinaient... Ils avaient envie l'un de l'autre, une envie qui leur brûlait le sang...
Et elle se révéla, le soir de la noce, et chaque soir en se couchant, et le matin, et chaque nuit...
Et on voit ensuite cette Ségalino, mariée, "draguant" un peu plus tard un ouvrier agricole au temps des foins... mais cet imbécile ne comprend pas !
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » mer. 07 août 2013 06:22:05
Un coeur s'expose
A trop s'engager
Avec un berger,
Et toujours l'épine est sous la rose.( )
d'après J-J ROUSSEAU
Vers Moyrazès en 1746, plus réel et plus bucolique est le cas de cette Marie, bergère au village de Pourquials, qui est renvoyée par un pagès, son employeur, sans avoir été payée.
Elle vient donc en justice réclamer son salaire : ...douze livres, une juppe, un tablier de toille drap, une paire de bas courdelat, deux canes de toille mestisse, quatre pans de toille prime, deux paires de sabots et un des deux paires ferrés..
Mais le pagès ne veut rien savoir, l'ayant avertie plusieurs fois de ne point sortir de nuit, et qu'elle sortoit de sa maison presque tous les soirs jusques après minuit, et qu'elle luy laissoit les portes ouvertes, et que même elle couchoit dehors, et qu'après elle s'endormoit pendant le jour et qu'elle abandonnoit ses brebis dans les blés et ceux de ses voisins.
Qui donc allait-elle retrouver, cette mignonne bergère ? On ne sait... et cependant on la comprend. Des nuits d'amour au clair de lune du côté de Moyrazès, aujourd'hui encore, n'y a-t-il pas de quoi faire rêver ?
On peut trouver des femmes qui n'ont jamais eu de galanterie, mais il est rare d'en trouver qui n'en aient jamais eu qu'une.
LA ROCHEFOUCAULD
Connut-on naguère en Ségala rouergat des filles aptes à succomber à l'agrément des caresses, ou même saisies d'appétits plus corsés, et faisant à l'occasion le bonheur de l'un ou de l'autre ?
Oui, très probablement... Les douées de la multiprogrammation sont de tous les temps : aquela d'aqui, es sovent sur l 'esquina, et li se carra... (=celle-là, elle est souvent sur le dos, et ça lui plaît), a dit un curé d'ici et de notre siècle à propos de l'une de ses ouailles. Cet homme d'Eglise dépasse en éloquence les documents d'archives, peu diserts en général sur le vécu de ces choses par les hommes du temps. Encore que...
A Moyrazès en septembre 1778, une jeune fille du nom de Thérèse, du village des Combes, vient voir le juge. Elle se plaint d'un garçon, Joseph M., dont elle fut enceinte. Elle a perdu son fruit car, pendant sa grossesse, elle fut attaquée de petite vérole que lui occasionna un avortement. Mais, dit-elle, elle n'avait accepté de connaître charnellement ce garçon que sur la promesse que lui faisoit ledit M de l'espouser en cas que vint enceinte. Sans doute l'aime-t-elle toujours, son Joseph, et elle lui demande donc de tenir sa parole. Or, bien qu'il ait été incarcéré à Rodez, ce garçon ne veut absolument rien savoir, question mariage ! Il nie tout ! Il est peu probable qu'il soit hors du coup, pourtant, puisque lui et Thérèse étaient bergers côte à côte, au moment des faits, chez un pagès de Graunes, paroisse de Moyrazès. Et la pagèse témoigne qu'elle avoit entendu dire que led. (Joseph) étoit fort d'accord avec lad. (Thérèse) et qu'ils faisoient certains badinages qui annonçoient de l'inclination l'un pour l'autre. Et puis un jour, elle les a renvoyés tous les deux illico, après les avoir surpris en flagrant délit de copulation au milieu d'un champ de genêts.
Pourquoi Joseph ne veut-il plus de Thérèse ? Est-ce parce que, si mignonne lorsqu'il la lutinait dans les genêts en fleurs, elle est maintenant défigurée par la petite vérole, qui lui a taraudé le visage ? Elle doit rester attirante, cependant, car on la retrouve, quelques années plus tard, venant faire une déclaration de grossesse illégitime au juge de Moyrazès. C'est le jour de la Saint Médard, explique-t-elle, qu'elle a ouvert ses bras et plus encore à son nouveau galant, la première fois. L'élu est un tailleur du bourg de Moyrazès. Ensuite, elle auroict continué le même commerce plusieurs autres fois despuis, ajoute-t-elle. Que penser d'elle ? Est-ce là une campagnarde un peu sentimentale, ou bien une malheureuse cernée par les hommes, parce que considérée par tous comme accessible, après sa première aventure ?
Un peu plus loin à l'est, à Sainte-Juliette au sein du Calmontois, en décembre 1675, le notaire Delmon vient de Cassagnes-Bégonhès rédiger une transaction aux fins d'éviter un procès. Car une célibataire de ce village, Catherine R., a accouché d'une fillette baptisée Procule. Comme la loi l'impose alors aux filles non mariées, elle est allée auparavant faire une déclaration de grossesse à Me Anthoine de Calviac, lieutenant du juge de Calmont-de-Plancatge. Et à cette occasion, elle a attribué à l'un de ses voisins, un certain Louis B., la responsabilité de sa gravidation. Mais celui-ci, ayant esté adverty... estoit sur le point de se pourvoir en descharge de lad. calomnie, et comme il estoit innocens de lad. accusation, il prétendoit, en vérifiant les mauvaises practiques et fréquentations que diverses personnes auroict eu avec lad. R., de jour comme de nuit, d'obtenir sa relaxe avec des-pans, dommages et inthérest. Ne serait-on pas, ici, en présence d'une vraie bienfaitrice de garçons de villages ?
Une certaine Françoise - dont le CAS a été révélé par Jean Delmas dans le volume de Al Canton consacré à Sainte-Geneviève, et il nous l'a fait connaître – n'est pas Ségaline, hélas ! Elle est des montagnes du Rouergue. Son histoire, cependant, est une accumulation de miettes de vie si pittoresques qu'elles méritent pleinement d'être rapportées ici.
Bien que fille de bourgeois, Françoise prend un emploi de servante chez une demoiselle Roy, dans la région de Mur-de-Barrez, le jour de la Sainte-Elisabeth 1776. Françoise est loin d'être farouche. Très vite, elle prend pour galant un cordonnier, Jean-Pierre Viguier. Un chansonnier anonyme, comme il en existait jadis, fait su
r leur compte une ritournelle, peut-être destinée à accompagner quelque charivari :
Aquo de Roy, y o uno sirvento
Que s'entipo de fa l'amour.
Avec un cordonnier de la plaço
S'ensegou nuech et jour.
Se lo dimenche lo envoyo
Al pradel, garda los tessous,
Ello fo signe a soun Jean-Pierro,
Veni, onen ni toutes dous.
Chez Roy, il est une servante
Qui s'excite à faire l'amour.
Avec un cordonnier de la place
Ils se suivent nuit et jour.
Si on l'envoie le dimanche
Au petit pré, garder les cochons,
Elle fait signe à son Jean-Pierre
Viens, allons-y tous les deux.
Après quatre couplets de la sorte, la chanson se termine ainsi :
Ello diguet : si j'ay le nas long
Las silhos négros, aquo descoubes pas.
N'ay de bounos manieros per me fa aimar
Toujours presto per Jean-Pierro,
fai ce que vol.
Elle a dit : si j'ai le nez long,
Les cils noirs, ça convient quand même
J'ai de bons talents pour me faire aimer
Toujours prête pour Jean-Pierre à sa volonté.
Mais Françoise a aussi du goût pour d'autres que les cordonniers. La demoiselle Roy, sa patronne, ayant un de ses fils qui exerce la profession d'avocat, un clerc de celui-ci, un certain Grégoire, qui montoit par la fenêtre du cimetière pour passer la nuit avec elle, a également droit à ses faveurs ; et elle a de surcroît de l'inclination pour un domestique de la maison, Antoine Imbert. Lorsqu'ils étaient à l'écurie, Françoise et Antoine se calinaient, témoigne un jeune berger leur collègue, demandant à ce garçon lorsqu'il fallait traire les bêtes de se charger ce travail, bien qu'il soit inexpérimenté, et ...ils profitoient de ce temps pour badiner; s'embrasser, et de suite s'écartaient dans l'affenadou qui est au bout de l'écurie où ils restoient un peu plus d'un quart d'heure.
Et de plus Françoise invitait ses galants dans la maison de sa maîtresse, lorsque celle-ci était couchée, et dansait, riait, leur offrait à boire, au point qu'il lui est reproché d'avoir vidé pas moins de trois barriques.
Plus tard, après avoir été licenciée, elle continue d'assouvir son goût pour les amoureux et les accueille volontiers dans la maison de sa soeur où elle est venue habiter. Certains voisins estiment qu'il s'est commis tant de péchés dans cette demeure qu'on aurait dû y mettre le feu.
L'histoire de Françoise se corse le jour où elle tombe enceinte. Entre temps, pendant le carême de 1778, la demoiselle qu'elle sert a fait donation de ses biens à l'un de ses fils, Me Jean Baptiste Roy, qui est chanoine à Mur-de-Barrez. Et en août 1778, lorsque Françoise fait une déclaration de grossesse, elle désigne ce chanoine, âgé de 48 ans, comme le père de son enfant.
Le dossier d'instruction est un amusant inventaire des gestes de séduction que l'on peut prêter à un chanoine pour séduire une servante, comme de mettre sa tête sur ses genoux, lui permettant d'en faire autant ; de lui mettre la main sur les épaules, de lui mettre de bonbons ou pralines dans la bouche, en prendre de même dans sa main ; de lui ramasser le fuseau, lui dire des choses tendres et prendre sur elle des libertés indécentes, Lui permettant d'en faire autant vis-à-vis de lui ,. ...dans le beau temps se promener ensemble et dans certaines allées prendre des libertés indécentes sur elle ; ...allant à l'église ensemble, (s'avancer) pour lui donner l'eau bénite, etc... Et si l'on en croit Françoise, c'est au mois de décembre 1777 que le chanoine, lui ayant dit de venir bassiner son lit... la saisit et vint à bout de son dessein.
S'agit-il d'un chantage ? C'est vraisemblable, certaines outrances des accusateurs le faisant soupçonner. Car Françoise semble manipulée par son père, présenté comme cupide et attiré par la fortune du chanoine ; manipulée aussi par l'avocat, frère de cet ecclésiastique, ces deux-là se détestant. Le chanoine, en tout cas, porte plainte au Sénéchal pour diffamation. L'affaire, ensuite, va venir à l'Official. Les témoins de moralité abondent pour dire que Me Jean Baptiste Roy est un homme de grande tenue. Mais si c'est un traquenard qui lui a été tendu, il est à l'évidence fort bien orchestré. Ce chanoine est ainsi accusé d'avoir cherché le silence de Françoise en lui donnant de l'argent, de l'avoir rencontrée un jour dans la campagne et d'avoir saigné une poule pour tacher la chemise de Françoise afin de faire croire à un retour de règles, de lui avoir fourni une jument pour aller jusque chez un chirurgien plus ou moins avorteur, etc...
Les seuls, sans doute, qui savent la "vérité vraie" sont les confesseurs de Françoise, le curé et le vicaire d'Orlhaguet, mais ils sont tenus par le secret de la confession. Et si les frasques de cette fille ne sont pas douteuses, la vertu du chanoine restera pour toujours couverte par le mystère.
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » dim. 11 août 2013 06:04:54
Nos aïeules et nos aïeux succombèrent donc au péché de la chair, parfois. Pas du tout étonnée qu'il en soit ainsi, une dame de notre paroisse, que nous tenons pour un puits de sagesse, nous a dit simplement : totjorn aquo s'es fach, et totjorn aquo se fara (=toujours ça c'est fait et toujours ça se fera).
Oui, mais... au temps des rois, l'esprit est plein de la crainte de Dieu. Les flammes éternelles sont promises aux impudiques. Et l'Eglise veille car Satan rode :...
L’home es de froc, la femna d'estopas et lo diable buffa
(l'homme est du feu, la femme de l'étoupe... et le diable souffle).
La vertu des jeunes filles, au moins à partir du XVII' siècle, prend place parmi les préoccupations majeures des curés. Les instructions de la hiérarchie catholique sont pressantes. Tout doit être organisé pour ne pas voir aller les filles confusément avec les garçons. En 1667, le compte rendu de l'assemblée synodale de l'évêché de Rodez est lumineux : ...faisons... deffenses sous peine d'excommunication à tous garçons et filles de faire aucunes quêtes ensemble dans les paroisses, pour quelque fruict et sous quelque prétexte que ce soit.
Dans le même esprit, au XVIII' siècle, le prieur-poète de Pradinas, Claude Peyrot, évoque le CAS de l'oisiveté "innocente" du dimanche, après les vêpres :
... un pauc plus lèn porlufejou los filhos, ,
Soulos, car des gorsous se se triabou pas, Lou Ritou lour forio del mescladis un cas...
....un peu à part vont caqueter les filles
Seules, car si des gars elles ne s'écartaient,
Le curé leur ferait procès de cette mixité...
Mais ce sont surtout des fêtes où les filles dansent, et où elles partent agnelles et reviennent brebis, comme le dira un prêtre de Gascogne, que se méfient les hommes d'Eglise. Un ouvrage du temps, traitant de La manière de bien instruire les pauvres et en particulier les gens de la campagne, en dit notamment ceci :
...il n'y a personne qui, quand il veut ouvrir les yeux, n'aperçoive aisément tout le danger qui se trouve dans les danses. Les deux sexes s Y trouvent ensemble ; la liberté de la danse autorise des familiaritez criminelles ; on se regarde fixement ; on se prend mutuellement les mains, ces malheureux commencemens donnent lieu à d'autres libertez encore plus criminelles ; le poison entre par les yeux ; il entre encore par les oreilles ; les paroles impudiques ou au moins équivoques sont des suites qui accompagnent presque toujours les danses ; on y entend des chansons dont tout le but est d'aprendre et de louer les ruses que l'amour impudique employe pour suborner les coeurs ; ces chansons sont écoutées avec attention, elles sont répétées plusieurs fois, elles sont louées, elles excitent des ris immodérés...
Les pasteurs de nos campagnes ont-ils été performants pour conserver l'innocence de leurs agnelles ? Il semble que oui. Les historiens qui ont étudié, dans d'autres régions de France, les effets des affaires extra-conjugales pendant le grand siècle et le siècle des lumières, font presque tous la remarque suivante : les naissances hors mariage "sont plus nombreuses en ville qu'à la campagne, soumise au contrôle plus strict du voisinage."
Il est cependant, dans ce coin de Rouergue, vraiment impossible de quantifier, de quelque manière que ce soit, le niveau de retenue sexuelle des ruraux, au temps des rois. Les sources d'information sont cruellement lacunaires, avant le XIXe siècle. On ne sait rien, par exemple, de la fréquence des avortements ou des infanticides, qui existent à coup sûr. Certains indices laissent à penser que les choses ont eu des hauts et des bas, au fil du temps : le début du XVI' siècle aurait été assez permissif, les deux siècles suivants rigides, avant que la bride ne soit relachée à la Révolution. Au XVIII' siècle les données disponibles permettent une seule remarque : les naissances illégitimes enregistrées dans les paroisses de ce morceau de Ségala sont rares. Et comme la contraception semble quasi inconnue et que nos modernes médecins évaluent la probabilité que soit fécond un rapport sexuel non protégé et réalisé au hasard dans le cycle menstruel – à un peu moins de 1 pour 10, ce faible nombre de naissances hors des normes – même si on y ajoute quelques accouchements réalisés dans l'anonymat des villes –incite à penser que les écarts de conduite impliquant les jeunes filles ne furent pas très multipliés.
Le CAS d'une veuve, Françoise C.... des fauxbourgs de Naucelle y habitante, qui donne naissance à un enfant de père inconnu en 1760 rappelle que les jeunes filles ne sont pas seules à offrir un champ pour l'aventure. Les femmes mariées comptent également, et on sait les éloges que l'admirable Georges Brassens a délivré aux femmes infidèles, recommandant de ne pas leur jeter la pierre, tant elles sont précieuses pour calmer la fièvre ardente - Du pauvre solitaire et qui n'est pas de bois.
Au temps présent, certains dépouillement récents d'analyses génétiques - ailleurs que dans le vertueux Rouergue, précisons-le - confirment ce que les vieux notaires savaient parfaitement : une fraction fort minoritaire certes, mais non négligeable, des nouveaux-nés ont pour géniteur une autre personne que le père déclaré. Qu'en était-il ici au temps des rois ? On l' ignore…
Les appétits du sexe masculin sont aussi un marché pour des opératrices mercenaires. Même les bourgades sont sous surveillance, comme en témoigne le dernier verset de cet "Avis à population" à Calmont-dePlancatge, vers 1630 :
De la part de l'hault et puissant seigneur messire Jean d'Arpajon de Sévérac, seigneur baron desd. lieux Calmont de Plancatge, Durenque, Brousse, Beaucaire et autres places...
Sont faictes inhibitions et deffance à toutes personnes de jurer ny blasfémer le nom de Dieu, à peine la première fois de cent sols, la seconde de dix livres, et pour la troisième d'avoir la langue percée et autres peines portées par les ordonnances du roy.
Sont faites inhibitions et deffances de danser et jouer pendant le divin office à peine de dix livres et autres arbitraires.
Sont faites inhibitions et deffances de retirer aulcunes personnes diffames de mauvaise vie.
Mais il s'agit là d'un avertissement assez commun, et il reste clair que le lieu de perdition majeur, ce n'est pas Calmont, c'est "la ville". Et dans les villes, les entorses à la vertu appellent châtiment ... parfois.
Passant par Toulouse en 1722, le Rouergat Pierre Prion note qu'au milieu du pont (neuf) il y a une cage de fer mobile, dans laquelle l'on plonge plusieurs fois les filles de joie jusqu'au fond de la Garonne, afin de les rafraîchir du feu de la concupiscence : quelquefois les plus brûlantes sortent de ce tourment élémentaire sans être guéries radicalement.
A Cahors, une gabio (=cage) de même nature existe, pour le Lot, le chanoine Sol faisant observer à ce propos qu'un tel traitement est voisin de celui que les ménagères appliquent aux poules "lorsqu'elles veulent leur faire passer l'envie de couver."
Et à Rodez, s'il ne semble pas y avoir de cage à tremper dans l'Aveyron, il y a bien quelques filles. D'ailleurs... pour peu que l'on interroge des aînés encore verts, parmi les Ruthénois, on en trouve qui parlent avec émotion d'un certain établissement de la rue de la Bullière : certains services à titre onéreux y étaient dispensés il y a seulement quelques décennies, tant au mâle de la ville qu'à celui de la campagne.
Et dans l'Histoire, les antécédents ne manquent pas. Ainsi, "c'est en 1477 que l'on voit apparaître, à l'entrée nord, rue Saint-Cyrice `lo public de las filhas' qui devient ensuite "lo bon hostal" (la bonne maison)..."
En fait le passé de Rodez est émaillé de problèmes posés par les filles de mauvaise vie. Sans multiplier les exemples, on peut néanmoins en donner un. En 1727, un hoste (=aubergiste) de la ville veut poursuivre en justice les consuls du Bourg. Le 17 décembre en effet, jour de marché, à dix heures du matin ...six valets de ville avec leur capitaine, leurs greffiers, leurs huissiers, et quatre cavaliers de la maréchaussée, la bayonette au bout du fusil, sont venus dans son établissement pour y capturer trois de ses filles, en présence d'un grand nombre d'honettes gens qui mangeoient et buvoient dans son cabaret, et il vit ensuite avec douleur qu'après leur avoir fait traverse plusieurs rues, on les enfermoit dans la maison du refuge destiné pour le filles prostittuez et escandaleuses. Le tort causé est d'autant plus grand ajoute ce cabaretier, que deux desd. filles estoint prestes à se marier.
Et il va donc en justice pour obtenir réparation de l'honneur de sa famille et le dommages et intérests auxquels cet injuste procédé l'expose.
Cette interpellation fait suite à l'ordonnance rendue... par Messieurs les consuls de 1, ville de Rodez, maire et lieutenants généraux de police de ladite ville qui condemne les filles de Jean V, hoste dud. Rodez, à demeurer trois ans dan le refuge de cette ville ; la mère des filles, épouse de l'hoste, et une autre personne d'âge canonique de la même famille, poursuivies pour crime maquerelage, sont également mises sous les verrous.
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » ven. 16 août 2013 07:51:01
REPÈRES
OH! TOULOUSE..
A Toulouse, le supplice de la gabio n'est pas le seul à plaire énormément. Voici encore, dans cette ville, comment fut traitée une fille à soldats : le 1" février (1748), entre 3 et 4 heures du soir, une fille des plus abandonnées, ayant été trouvée cette nuit couchée avec quelque soldat, de ceux qui sont casernés au collège Sainte-Catherine, fut condamnée, suivant l'usage reçu dans le militaire, a être passée par les verges, sur la place Royale, devant l'Hôtel de Ville ; de sorte que le Conseil de guerre ayant rendu sa sentence, qui est sans appel, elle fut conduite sur les lieux, ayant un faisceau de verges sous chaque bras, qu'elle distribua elle- même à cent hommes placés en deux haies faisant un corridor ; après quoi, s'étant dépouillée sur l'ordre de l'officier, n'ayant que la seule jupe, elle passa sept fois, allant et venant, au milieu de ces soldats qui la fustigèrent cruellement... Cette exécution, qui fut faite à la vue d'un peuple infini, est la première de cet espèce qu'on ait vue faire à Toulouse, où il ne s'était jamais parlé de troupes. Elle ne sera pas unique, selon les apparences, y ayant assez de gibier de corps de garde pour fournir matière à pareilles scènes, pour peu que ces gens-là demeurent ici en garnison...
Parmi les accusatrices, peut-être aussi les dénonciatrices, on trouve des dames de bonne conduite, de bon renom, comme Marguerite Périé, épouse Loubière, Supérieure de la Miséricorde. Elle témoigne :...nous soussignée, Supérieure de la Miséricorde, certifions à Messieurs les consuls que... il nous est revenu de plusieurs androis et de personnes dignes de foy, que la veuve P. et Jeanne V, fille du nommé V, hote de cette ville, ce prostituet publiquement à tous venans, ce qui cause un escandale horiple dans tout le voisinage et dans toute la ville...
*
Ainsi, jadis, les pulsions des êtres humains ont posé quelques problèmes. Ici ou là et à présent, elles en posent d'autres. Et demain, elles en poseront encore, probablement...
- Chapitre XV -
AU CHÂTEAU DE VILLELONGUE, UNE DAME QUI SE REBIFFE.
Il faut aller voir Villelongue, à deux tours de roues de Naucelle.
On monte facilement jusqu'à la chapelle, et ensuite, en bravant les broussailles, on retrouve quelques morceaux du vieux château. Puis, en longeant les à-pics, on prend conscience de la valeur du site : aucun autre lieu en Ségala central ne fait mieux comprendre de quel environnement défensif devait être doté le repaire d'un seigneur féodal. Ainsi juchées sur le roc, au bord de nos ruisseaux et de nos rivières, ces bribes de sévères bâtisses nous apportent un parfum de temps difficiles. Est-ce d'ailleurs un hasard si le lieu de Villelongue a retrouvé du service, dans une époque proche, où la violence revint ? Un maquis s'est installé là au cours de la dernière guerre. La chapelle, aujourd'hui musée, rappelle sa mémoire.
Les lieux
L'ancien nom de Villelongue, c'était Malemort. Tout un programme... L'esprit des lieux vous souffle : les hommes qui vivaient dans ce rude site devaient être de rudes personnages ! Et en effet, à la lecture de tel ou tel texte du passé, on hume que certains des seigneurs de l'endroit eurent "du caractère". Or lorsqu'on dit de quelqu'un qu'il a "du caractère", c'est que généralement il l'a plutôt "difficile".
Mais au fait... pourquoi pense-t-on toujours seulement aux hommes, en disant cela ? Et les dames, comment étaient-elles, ici ? Etaient-elles douces et angéliques ? Ou avaient-elles, de même, "du caractère", autrement dit un "sacré caractère" ?
"Tempête conjugale au château" : tel pourrait être le titre d'un épisode de la vie à Villelongue au temps de Louis XIV, vers la fin du XVII' siècle.
Les seigneurs de ce lieu sont une branche des de Saunhac, une grande et belle famille qui a dominé Belcastel et nombre d'autres places en Rouergue et en Albigeois. Ce patronyme de Saunhac s'est installé à Villelongue en 1597 lorsque Raymond de Saunhac d'Ampiac a épousé Delphine de Raffin, héritière de la seigneurie.
Leur fils, Hercules, convole en 1623 avec Françoise de Buisson de Bournazel, fille de François de Bournazel et de Florette de Morlhon. C'est un fils de ce couple, Guion de Saunhac, chef de la lignée à la troisième génération des Saunhac de Villelongue, qui est au coeur de l'histoire qui suit. Il est par sa mère l'arrière petit-fils de cette Marie de Saunhac, dame de Sanvensa, seigneuresse de Belcastel, la Mothe Salan et autres places, qui fut femme de grand caractère.
Marié une première fois en 1654 avec Isabeau de. Gozon, Guion de Saunhac est devenu veuf, et il a la cinquantaine bien accomplie lorsqu'il reprend femme en 1682.
Il reprend femme jeune, évidemment ! A cat vielh,cal ratounes pla tendres (=vieux chat requiert tendres petites rates), n'est-ce pas ? Il épouse donc Françoise de Vigouroux, une Ruthénoise dont le père possède la seigneurie de Barri, dans les Palanges, et un office de magistrature à Rodez.
Guion n'a pas eu d'enfants de son premier mariage. Est-ce parce qu'il manque de descendance qu'il convole de nouveau ? Ou est-ce parce que les apports financiers d'une nouvelle épouse arrangeraient bien ses affaires ? Car Guion a des finances un peu faibles. Quelques années avant ce deuxième mariage, en 1673, pressé par des soucis d'argent, il a dû vendre à l'un de ses beaux-frères la seigneurie d'Ampiac, qu'il possédait conjointement avec Villelongue, pour être en mesure de donner leur légitime à chacun de ses frères et sceurs.
Or le paiement de la dot de Françoise tarde, tarde beaucoup trop...
Il va de soi que la jeune épouse, Françoise de Vigouroux, n'est pas montée à l'autel sans qu'auparavant il y ait eu accord sur sa dot et le paiement de celle-ci. Mais la somme convenue, faut-il encore la recevoir! Deux ou trois ans après les épousailles, Guion attend toujours. La famille de Vigouroux ne payant toujours pas, on se retrouve en procès au Parlement de Toulouse. Et Guion de Saunhac obtient de ce tribunal la saisie de la seigneurie de Barri, propriété de son beau-père, le sieur de Vigouroux, ainsi que de l'office de magistrature qu'il détient à Rodez.
Dès lors, les choses s'enveniment. Il semble que l'on soit allé de chicane en chicane. Et dans l'un des épisodes, on va voir Françoise de Vigouroux se rebeller contre son vieux mari, comme cela nous est en partie dévoilée par le texte d'une plainte que Guion dépose, en 1692 semble-t-il, contre ses "adversaires".
Ces "adversaires", ce sont d'abord les membres de la famille de Vigouroux : l'épouse elle-même en premier lieu (Françoise), le père de celle-ci (le sieur de Vigouroux), le fils ayné de la maizon (frère de Françoise) et aussi un frère cadet qui est prêtre. Mais sont également impliqués dans cette affaire des notables de proximité que Guion qualifie de "complices". Il s'agit d'une part du nommé At, advocat du village de Frayssinet, paroisse de Cabanès, et d'autre part de Jean de Saunhac, prêtre. Ce dernier est à cette époque curé de Cabanès, et il est le propre frère de Guion, seigneur de Villelongue tout à côté.
Guion accuse ces deux-là d'avoir prêté main forte à sa femme lors de son principal forfait : elle a vidé le château de Villelongue, pendant que lui, le seigneur, était aux armées.
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » mer. 21 août 2013 13:41:45
At, l'avocat, a mal agi poussé par la rancoeur, affirme Guion, parce qu'il a été poursuivi pour avoir commis une faute dans les fonctions de juge suppléant de la seigneurie de Villelongue : led. At, en l'abssance du juge de Villelongue qui estoit à Toulouse pour un procès... estant venu trouver led. Seigneur pour le prier qu'il occupat (le poste de juge) dans l'absence du juge des lieux... dans lequel temps il y eut divers prizoniers pour crime grave que led. At sortit par voie de fait des prizons dud. château, de quoy il a été informé (=poursuivi) ; en haine de quoy, estant uni avec le recteur de Cabanès, ils avaient tous les deux juré la ruyne de la maizon.
Le curé de Cabanès, Jean de Saunhac, autre "complice", est qualifié par Guion d' enemy capital de la maison. Quel passif y a-t-il entre ces deux frères ? On ne sait... Certains détails laissent à penser que Guion n'est pas apprécié par tous, dans son entourage immédiat. Ainsi, lorsqu'il est convoqué aux armées, ses valets se sauvent et il doit réquisitionner un habitant de Villelongue pour l'accompagner jusqu'à Montauban. Mais son frère Jean, le curé, ne devait pas non plus être un angelot, puisque Gilbert Imbert nous apprend qu'il quitta la cure de Cabanès en 1696 pour une affaire sinistre qu'il eut avec sa famille. Au passage, Guion révèle que Jean l'a assaziné, un mot qu'il faut sans doute traduire par "molesté".
Guion accuse également le fils cadet des Vigouroux, prêtre, de l'avoir assaziné. Auraient-ils été batailleurs, les ecclésiastiques, en ce temps-là ? Quant aux autres Vigouroux, le père et le fils aîné, ils sont présentés comme pleins de mauvaise foi et de mépris. Après un accord avec eux à propos du paiement de la dot, voyant qu'il n'avoit aucune nouvelle, les termes estant eschus... Guion avoit envoyé... une lettre par laquelle il leur demandoit, avec toutte sorte d'onestteté et de civilitté, son payement. Or... tant led. Vigouroux père que led. Sr de Vigouroux fils, bien Loing de répondre aux honestetés qui leur avoint esté faittes... imaginent des invantions diaboliques... et continuoint à son esgard toutes sortes de vexations et persécutions.
Mais le grief principal de M. de Villelongue contre M. de Vigouroux, son beau-père, c'est qu'il se seroit advisé, par une malice qui n'a point son esgal, de se rendre le maistre de l'exprit de ladite dame de Vigouroux, sa filhe, femme aud. Sieur plaignant, l'ayant dans ses mains et dans sa maison jusques là mesme que luy ait entièrement reduitte et gaignée... Autrement dit, il a poussé Françoise à délaisser son époux... faute majeure, n'est-ce pas ?
Françoise de Vigouroux, principale accusée, comment était-elle ? Grande et belle ? Petite et noiraude ? Rieuse et gaie ? Dolente et teigneuse ? Le champ est libre pour que chacun imagine à sa façon cette dame de Villelongue. Il y a peu de portraits en ce temps-là, en Rouergue.
La seule chose un peu personnelle que l'on ait gardé d'elle est une signature. Les graphologues y distingueront peut-être tel ou tel trait de son caractère.
Cette dame semble pourtant avoir de bons côtés. Ainsi, plus tard, en février 1696 - elle est revenue à Villelongue, mais son mari est alors décédé - on la voit qui fait un don à sa servante, Marie Andrieu, lorsque se prépare le mariage de celle-ci avec Marc Mouysset, laboureur des Carrieyres, paroisse de Cabanès : ...constituée en personne, dame Françoise de Vigouroux, seigneuresse dudit Villelongue, laquelle agréant aussy le présent mariage pour les bons et agréables services qu'elle a receus et espère recevoir à l'advenir de lad. Andrieu, future espouse, luy a constitué et constitue en dot la somme de trente livres, deux linceuls et quatre serviettes, une écuelle et une assiette, le tout estain, et ce outre les gages qu'elle peut devoir à lad. Andrieu, payable lad. somme de trente livres à la prochaine feste Saint Julien, et lesd. marchandises le jour des nopces du présent mariage...
Trente livres, cela devait alors représenter une année de gages pour Marie Andrieu. C'est un assez beau cadeau pour un mariage !
Comment le couple Guion-Françoise a-t-il marché, tout au début ? Deux enfants vont naître : Armand et Thérèse. Françoise était-elle alors douce et tendre ? C'est chose possible, puisque les sages disent :
La premièra annada, bras a bras,
La seconda, pas a pas,
La trosièma, "tira-te enlà, embarras".
La premièra année, bras a bras,
La seconda, pas a pas,
La trosièma, "tira-te de là, tu gènes".
Et le Réquistanais Pierre Prion ne dit-il pas aussi, au début du XVIIIe siècle : ...un vieux qui se marie fait du flambeau de l'hymen une torche funèbre ?
Car si Françoise de Vigouroux a pu être un temps, ce que l'on ignore, une épouse toute de miel, on n'en est plus là une dizaine d'années plus tard. Guion de Saunhac, son mari, personnage noble et donc voué au métier des armes, avait reçu un ordre de marcher pour aller servir le roi au ban ; autrement dit, il avait été mobilisé. Il revient quelque temps après et le jour mesme que led. sieur... fut de retour de son voyage à Villelongue, la dame, sad. femme arrivant un quart d'heure après... lui réserve pour tout complimant "que je ne devois pas revenir de la guerre", mettant en oeuvre à tous moments toutes sortes d'offances, injures... Pauvre Guion ! Il n'y eut sûrement pas de câlin ce jour-là, à Villelongue, pour le guerrier revenant du combat et aspirant à un tendre repos.
Et pourtant, Guion rappelle les efforts qu'il a pu faire pour s'attacher sa conjointe, ayant toujours pratiqué toutes sortes de complaisance et d'angagement à son endroit... l'ayant toujours tenue dans la ville de Rodez ou de Sauvaterre pour la contanter et luy plaire... Ah ! voilà qui est bien, diront certaines dames d'à présent... En effet, pour une jeune femme comme Françoise, qui a passé sa jeunesse à Rodez, quel "trou", ce Villelongue, n'est-ce pas ! De plus, Guion affirme n'avoir jamais été pingre – un reproche souvent fait aux Rouergats, alors qu'ils sont "économes", seulement économes... – attendu qu'il s'est même incommodé et ruiné à fondz dans une maladie qu'elle a despuis cinq ans ou plus, et ayant mesme bailhé plus de 5000 livres argeant à elle-même, sans compter les provisions nécessaires qu'il luy envoyat journellement dans la croyance et espérance que cella produiroit quelque bon effaict...
Quelque bon effet ? Ma foi... Revenons au forfait !
S'appelait-elle Marie Andrieu – comme on peut le penser – cette servante qui a prêté main forte à sa maîtresse pour vider le château de Villelongue ? Guion de Saunhac présente ainsi les choses : ...la femme de chambre de lad. Dame, sa femme, despuis le temps qu'elle estoit à Villellongue, prenoit tous les soirs les clefs des portes dud. château pour les fermer, et au lieu de le fère, les laissoit ouvertes et sortoit tous les soirs de la maison tout ce qu'il y avoit... A la porte du château, attendent les gens du recteur de Cabanès, avec led. At, venant prendre dud. château tout ce qu'il y avoit. Avec des chevaux, le butin est transporté de Villelongue à la caminade (=presbytère) de Cabanès. Guion donne des détails sur ... tout le vol, qui consistoit en tous les papiers de la maison, en vingt escus d'argent que estoint avec les papiers dans le cabinet, six culières et six fourchettes d'argeant... vingt paires de linceuls, deux doutzaines de nappes et quatre doutzaines de serviettes et autres choses... (et encore) toutes les robes et linges de feu sa première femme, quy va à plus de cinq cens livres... Bref le château se trouve expolié d'un bout à l'autre, la sud. femme de chambre faisant sortir toutes les nuits tout ce qu'il y avoit dans led. château.
Il va de soi qu'après ce forfait et son algarade avec son mari à son retour des armées, la dame de Villelongue ne reste pas au château. Son beau-frère, le curé, la recueille au presbytère de Cabanès, à proximité : le lendemain de son évasion, on vit lad. dame sortir de la caminade (=presbytère) dud. Cabanès pour entendre la messe dans lad. esglise dud. Cabanès, accompagnée du recteur... Les enfants ont également été enlevés de Villelongue. Jean de Saunhac, le curé, et At, l'avocat, conduisirent lesd. enfants à la caminade.
On serait prêt à s'attendrir sur les malheurs du seigneur de Villelongue, si d'autres sources n'étaient pas là pour nous apprendre qu'il avait lui-même participé à un forfait identique, dans sa jeunesse, à l'autre château de son père, celui d'Ampiac... ainsi qu'à Villelongue !
A SUIVRE
( Goethe )
Re: femmes début XVIII siècle (livre en feuilleton)
Messagepar laselve » lun. 26 août 2013 04:52:09
A propos du père de Guion : Hercules de Saunhac, H. de Barrau nous dit que "les dépenses considérables qu'entraîna pour lui le service militaire dérangèrent beaucoup sa maison. Il mourut à Lisle, en Albigeois,
après avoir testé en 1648 et 1653". Or, dans son premier testament, il avait déshérité Guion et deux autres.de ses enfants "à cause de leurs grandes ingratitudes et voleries, et parce que, de concert avec la dame de Bournazel, leur mère, ils s'étaient emparés du château d'Ampiac, y avaient tenu pendant six mois grosse garnison, enfoncé coffres et armoires, pris argent, blé, vin, papiers, armes, chevaux, etc... et avaient commis par deux fois les mêmes excès à Villelongue..."
Le mâle, chef incontesté de sa maison ? Voire... Qu'il s'agisse d'Hercules de Saunhac ou de Guion son fils, il ne fut pas très simple, au XVII' siècle, d'être maître de son chez-soi, à Villelongue. Et derrière cette difficulté, on devine le heurt entre des femmes de caractère et des maris vraisemblablement très imbus de leur masculinité : curieuse similitude en effet entre les attitudes et les exploits de la mère de Guion, Françoise du Buisson de Bournazel, et à la génération suivante, de sa jeune belle-fille, Françoise de Vigouroux !
On a beaucoup insisté sur l'assujettissent de l'épouse à son mari, au temps des rois. Saint Paul enseigne qu'un époux doit certes aimer sa femme comme le Christ a aimé l'Eglise, c'est-à-dire jusqu'à la mort, mais il ajoute : ...que les femmes soient soumises à leur mari comme au Seigneurom
Un maître de l'Histoire, J. L. Flandrin, parlant du monde paysan, explique que "...le temps des amours, chez les paysans, finissait avec le mariage. Tous les observateurs du début du XIX''"' siècle, s'étonnaient de la rudesse des ruraux envers leurs femmes... Alors qu'au temps des amours, la fille était reine, libre au moins d'accorder ou de refuser baisers ou caresses, elle devenait une fois mariée, esclave de son mari, qui était en droit d'exiger d'elle du plaisir, entre beaucoup d'autres choses, par la force et par les coups, plutôt que par amour..."
Espia, novia, lo carmal Te servira de miralh ;
Espia, novio, los landiers, Te serviroù de candeliers ;
Espia, novia, los cantous,
T'y balharoù cops de bastoùs.
Proverbe gascon.
Nouvelle mariée...
Repère la crémaillère, Elle te servira de miroir ; Repère les landiers,
Car ce seront tes chandeliers
Et repère aussi les recoins,
On t'y donnera du bâton.
Et de fait, lorsque l'on se plonge dans les archives des justices locales nous venant du temps des rois, au coeur de ce Ségala rouergat, on trouve parmi les plaignantes des femmes violentées ou molestées. Mais ce ne sont jamais des épouses dénonçant un traitement de la sorte de la part de leur mari. La correction physique d'une femme par son époux, devait donc, malgré les bons conseils qui ne manquent pas dans les textes d'Eglise, être plus ou moins admise. Jean Delmas, cependant, avec sa profonde connaissance du Rouergue et la continuité qu'il constate dans les moeurs jusqu'à des temps restés dans les mémoires, met en avant une vision plus nuancée des choses : "...des brutalités, certes ! Mais attention de ne pas prendre l'exception pour la règle. Dans la plupart des ménages, on faisait en sorte de vivre dans la concorde. Et les femmes n'étaient pas sans défense, car d'abord il n'y a rien de tel que la volonté, voire la mauvaise volonté, la pesanteur... ou bien l'exploitation des faiblesses du mari, plus âgé en général... ou encore la pression de la famille de l'épouse, souvent voisine, voire celle des enfants..."
Et le contre-exemple, à Villelongue, ne serait-il pas le bienvenu pour rappeler que rien n'est jamais ni tout blanc ni tout noir dans les choses humaines ? La vie est trop riche pour pouvoir être résumée à un seul état des choses et cette "tempête conjugale au château" montre qu'il faut se garder des absolus : un mari a pu être mis en question. Il convient cependant de ne pas perdre de vue qu'on est loin du populaire, cet épisode mettant en scène des gens de condition, qui ont le loisir et les moyens de s'offrir des chicanes "de luxe". Cette rébellion d'une épouse est certainement un cas marginal, favorisée par le niveau social. Mais n'a-t-on pas souvent dit que les marginaux ont parfois un côté prophétique ? La résistance de cette dame à un époux par trop "macho" préfigurerait-elle d'autres combats, plus tard ?
Il reste que, dans les esprits du temps, le mâle doit être sans réplique le chef dans le ménage. C'est cet état des mentalités qu'exprime implicitement le seigneur de Villelongue, pris dans les vicissitudes de sa vie conjugale, lorsqu'il reproche à son beau-père d'avoir troublé l'esprit de Françoise,l'ayant par ce moyen esloignée des sentiments qu'elle devoit et estoit obligée d'avoir pour led. seigneur, son mary.
Au fait... si nous revenions à la question d'origine : à Villelongue, les dames furent-elles toujours douces et angéliques ? Ou bien eurent-elles, ici, "du caractère" ?
A SUIVRE
( Goethe )
Retourner vers « Recits et mémoire d'histoire »
- RÈGLES ET PRÉSENTATIONS
- A lire avant de s'incrire et de Poster
- Présentez-vous
- BOÎTE À IDÉES
- Nos membres ont de bonnes idées
- ANTIQUITÉ
- Avant, il y avait la Gaule
- MOYEN - ÂGE
- Merovingiens
- Carolingiens
- Capétiens Direct
- Les croisades
- La guerre de Cent ans
- Moyen-âge et avant
- RENAISSANCE
- Capetiens Valois
- Les guerres de religions
- Les premiers Bourbons
- PÉRIODE VERSAILLAISE
- Architecture et nouveautés
- Musique et arts
- LUMIÈRES
- 1ere republique
- Batailles de la première république et du premier empire Napoléon Ier
- Du XVIème au XVIIIème siècles
- INDUSTRIEL
- 2eme republique
- Second Empire
- Guerre Franco- Prussienne 1870
- CONTEMPORAIN
- 3eme republique
- Etat Français
- 4eme republique
- 5eme republique
- Première Guerre Mondiale
- Deuxième Guerre Mondiale
- Du XIXème à aujourd'hui
- LA NOBLESSE ET LE PEUPLE
- La noblesse française
- Le petit peuple
- AUTOUR DE L'HISTOIRE
- Archeologie
- Objets historiques
- Cuisine
- Livres films telefilms...
- Monuments architecture
- Arts et Expositions
- Recits et mémoire d'histoire
- La Conquete
- Les Guerres d'Indépendance
- Histoire transversale
- Batailles et campagne historique
- DIVERS
- Enigme et Mystère
- Quizz cumulatif
- Actualités
- Le site
- Hors sujet
- Liens histoire
Qui est en ligne
Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 1 invité